Crise ou impasse sanitaire de la forêt

Ici une vue d’épicéas ayant dépéri sous le fait des scolytes dans le Parc National de Bavière et reprise de la forêt  en sous-étage. Remarque : on parlait autrefois de « pluies acides », on ne parle  plus aujourd’hui que de scolytes… (photo Bernard Boisson ©)

La crise est un phénomène qui se produit dans de nombreux domaines. Elle nécessite une gestion particulière. Dans certains cas, elle peut être bénéfique et entraîner un changement important.

IMPASSE SANITAIRE DE NOS FORÊTS

Être dans une impasse, être dans une situation qui n’a point d’issue favorable

Au début des années quatre-vingt, l’Allemagne et toute l’Europe du Nord sont prises d’une véritable psychose. Elles découvrent que leurs forêts sont ravagées par des pluies acides et que leurs arbres dépérissent par milliers. En 1983, le tiers de la forêt allemande semble touché ce qui engendre le début d’un mouvement écologiste fort.

La notion de crise sanitaire de la forêt émergeait.

La cause première des pluies acides est la pollution atmosphérique. Une partie du gaz présent dans l’air se dilue dans l’atmosphère et produit de l’acide. Le CO2 ou carbone est transformé en acide carbonique qui retombe au sol en acidifiant les lacs et les forêts, qui dépérissent.

Ce phénomène préoccupant dans plusieurs régions du monde dans les années 1980 s’est beaucoup amélioré depuis grâce à cette prise de conscience écologique, puis des réglementations restreignant l’utilisation de soufre et imposant l’utilisation de filtres.

Les pluies acides se répandent actuellement dans certaines régions d’Asie et en Chine.

Mais il est insensé de croire que ce phénomène de pluie acide ait totalement disparu en Europe. Il a laissé des traces de stress sur les arbres, encore intensifié par le changement climatique (périodes de grandes pluies, de sécheresse depuis 1976, de fortes chaleurs en 2003 / 2006 / 2019, de tempêtes, d’incendies) .

La première maladie liée au changement climatique est la graphiose de l’orme (combinaison d’un scolyte et d’un champignon). Apparue dans les années 1970, elle décime tous les ormes d’Europe mais n’est pas vraiment identifiée comme un cri d’alarme. Et pourtant …

Vingt années après la crise des pluies acides, les scientifiques entrevoient de nouveau le spectre de la dégénérescence des forêts. De nombreux chercheurs et gestionnaires s’alarment de l’état de nos arbres qui viennent de connaître de nombreux stress en plusieurs années. Aussi avec le principe naturel qu’une forêt affaiblie est vulnérable aux champignons insectes et maladies de tout genre.

« Nous avons une épée de Damoclès sur la tête » s’inquiétait déjà en 2005, Louis-Michel Nageleisen, du Département de la santé des forêts, dans un article du journal Les Echos.

De plus les forêts deviennent des sources de gaz à effet de serre quand elles sont en régression : la biomasse se dégradant ou brûlant, le carbone organique retourne à l’atmosphère sous forme de CO2.

Et pourtant du début à la fin de la crise aucune décision n’est prise, si ce n’est que toujours couper plus de bois avec toujours plus de débouchés et d’utilisation de matériel performant qui de plus appauvrissent en tassant les sols .

Le débat sur la contribution de la filière forêt-bois s’est intensifié ces dernières années avec la publication de plusieurs études explorant des scénarios de gestion différents (Roux 2017, Valade 2017). Les orientations actuellement retenues par les pouvoirs publics s’appuient sur une augmentation des prélèvements en forêt (Plan National Forêt Bois, 2018) pour maximiser le stockage de carbone dans les produits bois et la substitution par des énergies ou produits jugés moins émetteurs. Source : « Nouvelle approche de la stratégie national d’atténuation »

La notion d’impasse est progressivement entrée dans le vocabulaire courant des forestiers sans être bien définie.

Selon le Centre national de la propriété forestières (CNPF) en 2018, elle caractérise une parcelle « vouée à un arrêt de croissance en l’absence de renouvellement », du fait d’un peuplement « hors station, en mauvais état sanitaire, instable ou dépérissant ». Le terme rassemble ainsi des considérations de survie biologique des arbres mais aussi de production, généralement non clarifiées.

Ce qui frappe au premier abord, c’est le doute et l’interrogation des sachants sur le type de renouvellement de ces surfaces, ainsi que leur doute sur l’avenir de nouvelles espèces. Il y a cependant urgence climatique !

Toujours selon le CNPF qui fait état d’une dégradation sensible de la forêt dans plusieurs régions de France, le taux de mortalité des arbres malades est en forte hausse.

En Île-de-France, la forêt de Montmorency est sinistrée, les 3/4 de sa surface étant atteints par la maladie de l’encre sur le châtaignier.

L’État a donc fait le choix de produire du bois à tout va et la production annuelle de bois est en augmentation suite aux coupes sanitaires.

La situation est inquiétante car, face a la crise sanitaire et au dépérissement de nos forêts, l’ONF gestionnaire semble désemparée, hésitant à tirer la sonnette d’alarme. Les plans de gestion sont mis à mal et le rôle social de la forêt est menacé.

Par ailleurs les chiffres de la production biologique sont méconnus, et difficilement lisibles bien que fondamentaux.Ils seront à suivre attentivement dans les années à venir.

À l’heure où plusieurs crises sanitaires et pandémies sont à la une de l’actualité de la santé publique, les forêts sont elles aussi au cœur des préoccupations de leurs gestionnaires, aussi bien en France qu’en Europe. Certains scientifiques se font même l’écho de phénomènes planétaires de dépérissement des forêts (Allen, 2009). Les changements climatiques à venir pourraient affecter la capacité de la société à bénéficier des ressources forestières. La question se pose avec une insistance répétée.

Les prochaines années seront décisives sur l’orientation de gestion. Continuer à prélever sans état d’âme serait catastrophique. Il est d’une urgence absolue de tenir compte du changement climatique et de tenir compte de la dégradation perceptible des forêts

La notion d’impasse sanitaire de la forêt se fait ressentir.

Source : Guide de gestion des forêts en crise sanitaire, Ministère de l’agriculture et www.cite-sciences.fr

Louis Vallin

PS : Cet article est également publié dans la revue de l’association A.R.B.R.E.S.