Le trépied de la transition écologique

On ne peut prétendre à une vraie transition écologique,

si on ne sait pas énoncer d’abord son trépied  !

Force est de constater trois sujets d’alerte majeurs en écologie totalement interdépendants, que nous ne pouvons vraiment plus nous permettre de négliger et qui devraient être pris en compte à parts égales.

Il s’agit de s’assurer de répondre au devenir de trois grands enjeux cruciaux :

1 – la dérégulation climatique

2 _ l’effondrement de la « biodiversité »

3 _ le déracinement humain dans des lieux déracinés

Quand ces trois sujets sont retournés en solutions antidotes, ils constituent le trépied de stabilité de notre « transition écologique ».

Chacun de ces trois sujets constitue une branche interdépendante des deux autres soutenant un équilibre commun. S’ensuit que nous avons à être attentifs à l’état de chacune de ces branches, à l’image d’un trépied de photographe dont on veut s’assurer qu’aucun de ses trois appuis ne soit défaillant.



Tant que nous ne savons pas penser une nature d’habitat intégrant en elle l’urbanisme, on programme dès lors les besoins de compensation chez les citadins pour aller se guérir ailleurs du mal-être de déracinement.
Donc davantage d’empreinte carbone dans les transports, plus de voiries, une dégradation des espaces naturels relictuels par surfréquentation en province, une urbanisation de villégiature à leurs périphéries qui s’accentue, etc. C’est un phénomène qui existe depuis longtemps, mais qui est toujours alimenté, même aujourd’hui plus encore qu’hier à revers de toute préconisation écologique !

Dans mes communications (articles de recherche, conférences…), je démontre que si nous perdurons à négliger la prise en compte d’au moins une de ces trois branches, il est absolument certain que ce trépied va s’effondrer et que tout ce qui aura été entrepris dans les deux autres branches aura été vain. D’où l’importance à faire entendre la problématique « du déracinement humain dans des lieux déracinés » qui passe encore trop sous silence sous le climat et la biodiversité. Notamment sur le plan international, elle n’a ni l’équivalent d’une COP climat, ni son congrès de l’UICN (concernant la biodiversité) , pour en termes d’évènementiels de concertations, donner une lisibilité sur ses enjeux…

S’ensuit que nous sommes très mal partis pour réussir, puisque les professionnels du territoire, du plus rural au plus urbain, du plus naturel au plus artificiel, du plus réel au plus virtuel, restent sur le plan psychologique extrêmement acculturés concernant les impacts du déracinement humain dans des lieux déracinés.  Il y a à cet endroit une très grande urgence de maturation transdisciplinaire « pour ne pas nous tromper de futur ».

Le sujet « du déracinement humain dans des lieux déracinés » est notamment une ligne d’investigation cruciale à prendre en compte pour l’avenir du Grand-Paris et de l’Ile-de-France.  

Cela donnerait notamment un signal d’exemplarité et d’impulsion de recentrement au niveau national, et même « un accusé de réception des élites »… Le covid et ses confinements, par l’exode en France d’environ 1 250 000 personnes qui s’en est suivi, allant des grandes agglomérations vers les campagnes, ont confirmé le malaise des gens se retrouvant immobilisés dans des « lieux déracinés ». Il fait aussi suite à des citoyens et des riverains qui, découragés, n’ont pas été entendus et respectés dans des enquêtes publiques sous régence d’intérêts du BTP. Toutefois, toute réaction individualiste à un problème altérant le bien commun n’a rien à voir avec la solution collective qui eut été la plus salutaire. Nous sommes là, déjà, rentrés dans un processus d’échecs collectifs.

Par « lieux déracinés », entendre :

Des paysages dont la nature est totalement décomposée dans sa valeur première d’écosystème ; des lieux décapés dans leur valeur de terroir ; des lieux où nous avons un effondrement de la maturité dans l’âge des arbres et de la végétation ; des lieux où nous avons une « nature d’habillage » à valeur décorative, mais pas une « nature d’habitat » plus pérenne et en adéquation à son contexte ; des lieux dégradés dans leur valeur mémorielle, des lieux qui ne nous relient plus au Vivant immémorial ; des lieux brouillés dans la lisibilité géologique ; des lieux hyper-fonctionnalisés pour l’humain, bitumés, bétonnés, sujets soit à la densification urbaine, soit à l’intensification agricole et sylvicole…

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Plus les citadins veulent retourner vers la nature, plus ils la font reculer, autant qu’ils sont précédés par des études de marché qui devancent par pur opportunisme leurs besoins sans aucune conscience globale des interrelations société/nature  ! Notamment on ne devrait pas seulement réviser comment nous pensons les forêts péri-urbaines, mais aussi comment nous pensons l’urbanisme péri-forêt… Là le manque de maturité des professionnels dans la prise en compte est à tomber des nues.

Le monde virtuel des smartphones et des ordinateurs en compensation d’un environnement visuel dégradé constitue aussi l’un des dangers du déracinement humain dans des lieux déracinés. Notamment, j’ai déjà démontré le dérapage de mentalités dans lequel nous sombrons, en n’étant plus reliés à la nature, mais seulement aux idées que nous nous en faisons (voir mon dernier livre). La nature est généralement comme la santé ou la paix : plus nous en parlons, plus c’est l’indice que nous les vivons mal.

Face « au déracinement humain dans des lieux déracinés » s’observe aujourd’hui, une énorme acculturation perceptuelle avec des douves entre les professionnels (tout corps de métiers confondus) et la société civile. Perdure un énorme manque de maturité interdisciplinaire entre les métiers et les corporations dans ce registre de compétence. Notamment, il est flagrant que les urbanistes et les architectes qui font de « l’écologie » dans le virtuel de la 3D, selon une ingénierie désensorialisée, sont spectaculairement incompétents pour répondre aux malaises existentiels de la société civile. Nous ne pouvons plus penser de manière dissociée comment s’appréhende l’urbanisme et comment s’appréhende les écosystèmes forestiers et les espaces verts, et là nous ne sommes qu’à la préhistoire de notre reconversion.



Les lieux déracinés abondent aussi dans le monde rural, en particulier quand les paysages sont très sériels, et dédiés à une exploitation intensive et uniforme des ressources ; ce en regard de quoi une forêt en libre évolution depuis des siècles constitue un symbole complètement en antithèse.

De surcroit, il serait très difficile de faire confiance aux promoteurs concernant « la crise des lieux déracinés », quand par voie de retours, de par ce qu’en disent les syndics, nous avons beaucoup de vices de fabrication dans les constructions récentes, de dommages collatéraux avec les édifices avoisinant les chantiers, et d’irrespects stupéfiants avec le code civil. Dans un contexte, où nombre de villes du Grand Paris sont davantage devenues des parcs immobiliers, plus que des lieux de vie, il va de soi qu’une déontologie a été très sérieusement endommagée. Dans ce contexte très délétère des mœurs professionnelles, on se demande comment la crise affectant « le déracinement humain dans des lieux déracinés » pourrait être prise en compte pour repenser notre futur, tellement le sujet devrait rappeler chacun à une bienveillance éthique bien supérieure ? Tout ce manquement de professionnalisme dans certains corps de métier se répercute sur d’autres métiers, comme les forestiers et les gestionnaires d’espaces naturels qui pour le coup doivent gérer les besoins de compensation d’une société mise à mal dans ses conditions d’existence. Rien n’est isolé de rien dans les problèmes, et il arrive vraiment un moment où il faut réapprendre à vivre ensemble pour reconstituer une société saine et cohérente.

Nous savons qu’il est facile d’être induit en erreur (involontairement ou volontairement) avec les chiffres d’études scientifiques n’intégrant pas au départ tous les paramètres, et que les chiffres sont parfois plus manipulatoires dans les argumentations que les idées. Nous ne demandons pas aux professionnels plus d’objectivité, mais plus d’humilité non simulée, et un retour au sens du service dépassant l’intérêt, sans aucun maquillage de communication. La société civile est plus que lassée des professionnels qui esquivent leurs incompétences et les carences de leurs formations, devant les bonnes questions de la société civile. Très souvent, les citoyens (en particulier les riverains de forêt) heurtés dans leurs impressions face à certaines pratiques de gestion forestière font du copié/collé d’argumentaires scientifico-naturalistes pour faire front à une déconvenue. Ceci pour plusieurs raisons :

_ parce qu’ils peinent à exprimer sur le plan sensible ce qui les choque, et qu’ils ont rarement la maturation du vécu expérientiel, les discernements, le vocabulaire, l’éducation littéraire…pour formuler ce qui les heurtent ou mieux, énoncer la contreproposition.

_ Parce que les citoyens n’ont pas envie de passer pour des OVNI transparents quand ils exposent des arguments leur appartenant en propre devant les professionnels qui par instinct de quant-à-soi masquent d’abord les carences de leurs formations (parfois sous une arrogance proportionnelle à leurs manquements).

_ parce que les professionnels n’ont pas plus que la société civile le sens du discernement et la maturité psychologique pour prendre acte du problème « des lieux déracinés induisant le déracinement humain » alors que la société civile a entière légitimité à les mettre en avant selon sa position, en laissant aux experts naturalistes les autres sujets convergents.

_ parce qu’il y a, non pas un clivage d’orthodoxie, mais une incompétence méthodologique des professionnels pour assimiler les demandes de la société civile…

_ parce que manque un corpus de connaissances universitaires et institutionnelles en référentiel pour évaluer les impacts « du déracinement humain dans des lieux déracinés », ou bien « les effets du conditionnement psychologique » dans la transformation des milieux… Il y a là, un pan énorme de connaissances qui reste spectaculairement éludé, insuffisamment exploré, ou parfois très mal interprété et récupéré…

Notons que nombre de gestionnaires du territoire sollicitent des sociologues pour sonder la conscience de la société civile, mais que si les citoyens ne trouvent pas les mots devant les malaises qu’ils ressentent, dès lors les études statistiques d’opinions sont vouées à l’échec puisque le mal-être de fond n’est pas identifié. Surtout, sonder l’ignorance n’aboutit pas à l’éveil… Il y a dans la compréhension du « déracinement humain dans des lieux déracinés » un mal-être existentiel que seul un vécu expérientiel de contrepoint peut percevoir et diagnostiquer avec clarté. Là, aucun diplôme ou patente professionnelle ne peut compenser par une érudition servant de caution un manque réel de vécu ! Cela explique notamment la défiance sur ce sujet de nombre de scientifiques-naturalistes de terrain quant à espérer une contribution efficace des sociologues ! Il est clair que des connaissances appropriées dans la psychologie des rapports humains/nature fait très lourdement défaut aux sociologues trop nouvellement venus au sujet. Il y a des carences dans leur cursus de formation qui sont plus qu’évidentes….

La nature en ville est seulement assimilée à du prêt-à-porter à l’image de la mode, et fonctionne comme elle. Il s’agit d’une « nature d’habillage », non point d’une « nature d’habitat ». Ainsi sont pensés à l’emporte-pièce des écoquartiers ! Or, outre que « la nature d’habillage » est directement sortie de la biodiversité dèsécosytémisée du catalogue de pépiniériste, elle n’a aucune valeur réelle pour le réenracinement des êtres humains. Juste un effet placebo…

Je n’oublie pas dans « le déracinement humain dans des lieux déracinés » l’effet de l’accroissement démographique qui l’amplifie plus encore. Mais dans l’ordre méthodologique d’appréhension des problèmes, et pour éviter les confusions, je me garderais pour ma part de l’appréhender prématurément, surtout qu’il demande une finesse éthique exigeant une maturité collective encore plus élevée, dont une forme appropriée « d’amour » (mot souvent dévoyé et professionnellement tabou)…

Nous pouvons en France continuer pendant longtemps, à faire perdurer nos infirmités professionnelles pour répondre aux problèmes, sauf à attendre du monde anglo-saxon ou du Japon un visionnaire de service qui aura répondu au défi en étant parvenu dans son pays à publier un ouvrage devenu un best-seller. Mais que nous devions attendre de cette façon « le messie professionnel » ne fait que prouver les dysfonctionnements médiatiques en France et une indigence généralisée dans les corporations d’intérêts, quant à leurs capacités en propre à faire monter à la surface les sujets de fond.

Il est crucial que les dérives du « déracinement humain dans des lieux déracinés soient jugulées par une prise de conscience politique globale sans aller s’égarer dans les ressacs de la rhétorique de tel parti envers tel autre au grand dam d’une bienveillance sur notre bien commun : la Terre. Une société civile consciente n’en veut pas…

Il est capital que des lieux redeviennent plus enracinants, en proportion vraiment conséquente et en bonne répartition géographique pour reconstituer les équilibres en regard des lieux déracinés, autant pour le devenir humain que celui de la nature

Ne presse pas moins que le Ministère de la Transition Ecologique et les Conseils Régionaux consultent enfin ceux qui savent diagnostiquer « le déracinement humain dans les lieux déracinés ». Ces derniers ne sont pas là pour compliquer les délibérations, mais pour être plus intégratifs, plus justes, et inciter à une approche plus économe sur le temps long, voire singulièrement innovante dans les décisions adéquates pour notre futur…

Bernard Boisson

Pour en savoir plus, lire notamment l’article de recherche « Dans les grands thèmes écologiques, trois risques majeurs… » – N°148 de la revue 3e Millénaire

« Forêt Citoyenne » avec le fonds de dotation « Forêt Préservées »

par Bernard Boisson

En cette nouvelle année 2023, notre association Forêt Citoyenne joint ses vœux à toutes les ONG d’acquisition foncière pour rendre les forêts à leurs écosystèmes, soit par une libre évolution intégrale, soit par une sylviculture davantage intégrative des dynamiques naturelles et de la biodiversité, Nous mentionnerons vraisemblablement les unes et les autres au fur et à mesure de nos avancements…

Nous avons déjà été reliés à l’association/fondation Vita Sylvae Conservation avec la réalisation de son exposition. (voir notre page agenda). nous avons été associés à l’Université du Bien Commun (UBC) pour la venue de Francis Hallé à Paris en novembre 2022 en lien avec son projet pour une forêt primaire en Europe. Nous n’oublions pas l’association Forêts Sauvages tout à fait pionnière dans le domaine des acquisitions, et son réseau étendu avec l’ASPAS, le WWF… Que d’autres n’étant pas ici cités nous excusent et qu’ils sachent notre disposition à nous intéresser à eux. Nos membres étant présents dans plusieurs réseaux, je participe pour ma part régulièrement à des articles dans la revue « Naturalité » de Forêts sauvages.

Suite à une pérégrination dans les forêts pyrénéennes et son réseau naturaliste au mois d’octobre 2022, nous avons notamment fait un film de présentation du Fonds de dotation Forêts Préservées, ci-présent par son président Philippe Falbet :

La forêt à la rentrée parlementaire

Après les incendies de l’été, un séminaire parlementaire sur les forêts en septembre 

Le 21 septembre 2022 est ponctué par une rencontre marquante entre des professionnels de la filière-bois, des ONG, des journalistes, et le monde décisionnel de la politique. Tous relèvent la nécessité d’un changement de politique forestière nationale. D’une part face aux coupes rases perçues anachroniques dans un contexte de réchauffement climatique, d’autre part face aux subventions misant le bois-énergie au détriment d’une biodiversité déjà menacée.

Il s’agit d’un séminaire de rentrée parlementaire à Paris (Maison de la Chimie). Cette concertation synthétise des diagnostics de professionnels et énumère les contrepropositions de plusieurs partis impliqués par plusieurs députés dans une commission chargée de l’examen du dossier forêt. Celle-ci retransmise sur youtube, Forêt Citoyenne se contente de vous en communiquer le lien direct pour que vous puissiez en apprécier l’exacte teneur.  Vous entendrez les contrepropositions de ces partis en fin d’enregistrement. Mais notre article n’en sera pas le résumé journalistique. Il s’agit plutôt d’appréhender cet évènement sur le mode « méta » de l’éditorialiste qui prend le pouls de nos mentalités. Voire, je me permettrais même une forme d’analyse à caractère « écopsychologique » sur comment une prise de conscience est en voie de modeler les décisions de politique forestière en particulier, et de politique écologique en général. Ainsi cela pourra aider à présager le futur des forêts en nous explorant dans les fondements mêmes de nos motivations.

Une économie matrice de l’écologie, ou une écologie matrice de l’économie ?

On pourrait dire qu’avec les effets du changement climatique sur la forêt (incendies, crises sanitaires…), il y a dans les mesures que peuvent exprimer les partis politiques, une échelle de graduation dans « la transition écologique ». Celle-ci nous fait passer d’une économie matrice de l’écologie, à une écologie matrice de l’économie. Mais ne nous y trompons pas, ce qui pourrait être le plus à l’avant-garde dans une politique fondée sur une écologie matrice de l’économie trouve son carburant humain dans une vitalité fondée sur un changement de pragmatisme stigmatisé par une écoanxiété de plus en plus prégnante au niveau latent.

Ce qui fait l’innovation en politique forestière ne provient que trop rarement de l’inspiration des idées, et avant tout de la propension sélective à les écouter selon les inquiétudes et les peurs orientant l’attention de la conscience collective et des élites. Ces inclinations sont ensuite proprement rationalisées.

La valeur réelle de notre relation à la forêt à une époque où prévalent les craintes

La peur est la force qui a trop souvent été le carburant vital encadrant toutes les autres forces de la vitalité humaine jusqu’à s’envelopper dans la pensée positive et élégante d’une rationalité technocratique. Aussi la peur d’être perdant dans une compétitivité économique a été une puissance vitale autrement plus forte que l’amour de la nature et tout ce qui pourrait contribuer à l’épanouissement de la maturité humaine. C’était pourtant là, le moteur vital des consciences pionnières et visionnaires… Il y a donc tout lieu de penser que si nous vivons une bascule majeure en politique, en passant d’une économie matrice de l’écologie à une écologie matrice de l’économie, cela devrait s’effectuer, selon toute probabilité, par une bascule de peurs (entre « anxiété économique » et « écoanxiété »), et non par une maturation humaine réelle, aimante et généreuse. Cette remarque porte sa gravité, non pas sur des élu(e)s en première ligne du débat forestier mais sur comment tout un mouvement de lobbying arrivera à se développer dans leur suite en regard des mentalités ambiantes. C’est là un constat d’humilité et un défi à partager entre nous tous. Nous sommes encore loin de parvenir au fait qu’une société puisse mûrir psychologiquement comme le peut au mieux un individu. Cela peut nous faire redouter que nous allions jusqu’à un seuil où le changement climatique sera perçu comme un péril bien plus tangible dans notre vie immédiate que la faillite de notre entreprise, ou le fait de perdre ou de gagner une guerre. Je m’attends même dans ce basculement à une période terriblement incertaine et très tendue de chaos, où nous nous retrouverons dans une économie qui, pour emprunter au vocabulaire des assureurs, ne sera plus « économiquement réparable ». Nous ne pourrons plus pourvoir financièrement aux urgences écologiques et humaines en même temps que nous pourrons de moins en moins les fuir. Nous risquons-là un paroxysme de sidération. Il nous faudra très vraisemblablement inventer dans le crescendo de sidération des urgences un autre paradigme économique. Retenons de toutes ces considérations, à peine ébauchées, que toutes les solutions d’un futur viable appellent en nous désormais une profondeur humaine n’étant en rien conditionnée à la peur.

De gauche à droite : Chantal Jourdan (PS) ; Marie Pochon (EELV) ; Mathilde Panot (LFI) ; Annie Genevrard (Les républicains).  Quatre députées pour souligner une représentativité politique de la forêt très féminine… Peut-être un signe très encourageant si on pense que bien souvent les femmes savent mieux écouter que les hommes… Étaient également intervenants dans le staff des députés : Sandrine Le Feur (Renaissance) et Eric Coquerel intervenant au titre de président de la commission des finances à l’Assemblée Nationale.

Par quelle qualité de présence l’écologie forestière de demain sera-t-elle portée ?

A une heure, où je pourrais espérer enfin un changement dans le sens du vent, j’éprouve un sentiment trouble, ambigu, et ambivalent. Les personnes qui auront eu de tout temps une prédisposition pour une vocation assimilant l’écologie forestière auront certes connu ce temps où elles se sentaient très isolées, surtout en regard des politiques entrepreneuriales et nationales qui ont subordonné l’écologie à l’économie. Pourtant nous aurions dû avoir là, deux sciences de la régulation n’ayant de cesse de se corroborer dans une similarité de principes. Du moins, en aurait-il été ainsi, si l’écologie avait été matrice de l’économie…

Aujourd’hui, les précurseurs d’une conscience touchant à l’écologie forestière pourraient semble-t-il se réjouir de ne plus se sentir isolés. Néanmoins, ils peuvent se sentir recouverts. Au risque même d’éprouver un exil encore plus incisif dans le recouvrement que dans l’isolement. Certains observant ces faits, pourraient laconiquement penser que les personnes pionnières se retrouvent désormais recouvertes par les opportunistes ou simplement par de jeunes générations moins entravées, et que c’est là, une tendance inéluctable à tous changements. Mais s’arrêter sur ce genre de considération serait gravement médire de ce que des personnes pionnières ont donné de leur vie dans l’isolement. En réalité si le monde professionnel et la société civile se comprennent demain dans une gestion plus écologique des forêts, cela pourrait ne pas se vivre avec l’amour de la première heure, mais avec l’écoanxiété, voire avec toutes les angoisses de la dernière heure. Ainsi qualitativement, cela risque de ne plus être du tout la même qualité de présence que nous pourrions espérer vivre dans notre relation au Vivant.  Cela ressemble au scénario où nous en venons à aimer la forêt comme un(e) partenaire de couple ou un parent que nous commencerions à chérir en fin de vie, comme pour rattraper tous nos manquements quotidiens antérieurs alors que nous avions jusque-là vécu l’autre sans vraiment l’avoir vu. Un tel amour se réveillant par la peur de le perdre rejoindra-t-il l’amour d’avoir trouvé ce qui donne Vie à la vie dans nos premiers élans de découverte ? Il n’est pas assuré que le réflexe de la dernière heure donne aux nouvelles générations qui viennent, l’amour du Vivant tel qu’il est quand il déploie sa profondeur dans le temps long. C’est pourtant cela qu’il faudra qu’elles ne manquent pas, et qu’elles n’ignorent pas, pour ne pas manquer le souffle intérieur nourrissant leur ligne de vie…

Les peurs étiquetées « réchauffement climatique » et « effondrement de la biodiversité » ne donneront en politique que des panels de mesures. Mais pour aller au-delà des mesures, il faut aller au-delà de tout ce qui est anxiogène.

Les très vieux arbres en forêt ne sont pas que des socles de biodiversité, des puits de carbone, et des climatiseurs naturels hautement performants et estampillés par le doigt du scientifique qui les pointe.  A l’évidence ces caractéristiques sont juste des contrepoids d’argumentation couramment mis dans la balance des décisions pour qu’un arbre échappe à son destin de grume, où à celui de squatter dérangeant un projet immobilier ou un projet de voirie…

 Qui sommes-nous si les arbres ont une valeur à nos yeux uniquement parce que tel ou tel scientifique en a démontré la fonctionnalité écologique ?  Que valent nos politiques territoriales si elles ne se plient qu’à ce type d’argumentaire ? Les très vieux arbres constituent un exemple typique révélant le côté hémiplégique de notre mentalité écologique. Car en eux nos contemplations peuvent entendre tout à fait autre chose. Comme par exemple, un silence de présence outrepassant les lignées humaines sur plusieurs générations et sur plusieurs siècles… En effet, la présence d’un temps organique venu d’un passé plus profond et allant ver un futur plus lointain que notre temps passage humain semble raviver notre sensibilité dans une forme particulière de paix amoureuse. Mais pourquoi n’aurait-on jamais le droit de dire qu’on veut préserver un arbre seulement parce que c’est cette qualité de conscience qu’il ravive en nous ? Pourquoi cela passerait-il pour une attitude puérile devant des élus, des experts professionnels, des propriétaires… ? Pourquoi des riverains s’alarmant d’abattage d’arbres, de destructions de milieux naturels sentent qu’ils ne seront entendus que s’ils font uniquement du copié/collé d’argumentaires scientifico-naturalistes, taisant ceux qui ont motivé leur sensibilité ? Pourquoi sans cesse, cette mise sous tutelle du sensible par une raison d’emprunt ? A cause de cela, sans cesse l’écologie politique semble coupée de sa source première, et pour se lever semble prendre appui sur les béquilles de la connaissance scientifique.

Il manque à cet endroit un corpus institutionnel de connaissances qui assimile nos éveils sensibles reliés aux états de la nature, aux forêts, aux arbres, à tous les règnes… de sorte d’en protéger l’existence qui protège en retour notre relation avec eux jusqu’à accompagner notre développement en sensibilité comme en intelligence. S’il existait, 50 % des argumentaires écologiques proviendraient de ses connaissances, 50 % des autres argumentaires écologiques proviendraient des sciences naturalistes. Cela changerait encore toute la teneur de l’écologie politique qui s’ensuivrait.

La force de l’amour de la nature, c’est qu’il protège ce qu’il ignore et que des scientifiques découvriront plus tard, et que l’écologie politique intégrera bien plus tard encore. Mais notre gouvernance technocratique n’a pas la science du sensible pour comprendre cet amour et rappeler toute politique, toute économie, toute culture à ses fondements comme à sa source… Et pourtant ensemble ayons le culot de faire que cela puisse advenir…

Bernard Boisson

Remerciements de Forêt Citoyenne à l’association Canopée pour son implication dans cette rencontre.

Alerte sur nos forêts urbaines

L’arrivée insidieuse et lente du dérèglement climatique rentre dans le dur.

La prise de conscience doit être entérinée maintenant par les maires et les décideurs, à la hauteur des températures extrêmes que nous vivons actuellement.

Dans les années 1980, toutes les forêts allemandes et toute l’Europe du Nord découvrent que leurs forêts sont ravagées par des pluies acides et que leurs arbres dépérissent par milliers, avec des traces de stress durable sur les arbres, encore intensifiées par le changement climatique (périodes de grandes pluies, de sécheresse depuis 1976, de fortes chaleurs en 2003 / 2006 / 2019, 2022 de tempêtes, d’incendies). Ces soubresauts répétés entraînent de façon inquiétante des développements de parasites, champignons et maladies, à l’affût de la faiblesse du végétal.  Pourtant pendant cette période, l’activité forestière doit continuer à produire de plus en plus  de bois y compris dans les forêts urbaines, bois énergie sous couvert de coupe sanitaire bois d’œuvre, ceci à proximité d’ une population dense et concentrée en droit de profiter de cette biomasse où l’effet de puits de fraîcheur devrait atténuer les hausses de température.  Mais tout ceci est  réduit à la merci des plans de gestion, des coupes sanitaires et des coupes rases, des cloisonnements sont mis en place pour favoriser les récoltes mécaniques de bois. Pourtant tout est mis en œuvre pour une neutralité carbone en 2050 sans aucune notion des bienfaits de la forêt, de sa fragilité et de la disparition de la biomasse forestière.

Dessèchement des frondaisons sous l’effet de la canicule

 L’effet domino des hausses de températures sur la forêt est réelle par une fragilisation mécanique de la limite technologique des fonctions de la plante. Plus la température augmente plus l’arbre rejette du carbone, le risque que la forêt soit émettrice de carbone  est présent .

il est maintenant largement temps d’arriver à un moratoire sur les plans de gestion et de sauver la biomasse forestière de ces forêts urbaines  le plus longtemps  possible  par principe de précaution .

 C’est un saut vers l’inconnu, dans un climat jamais expérimenté dans l’Hexagone, ni même en Europe.

Louis Vallin (Association Forêt Citoyenne & association A.R.B.R.E.S)

Alerte sur la société civile abandonnée dans le débat public des forêts et des espaces arborés

Résumé de ce dossier :

Au moment où nous assistons à une révision de la gestion forestière par les instances ministérielles, la fonction sociale de la forêt passe spectaculairement à l’ombre des deux autres fonctions économiques et écologiques de la forêt.  Cette mise à l’écart souffre de plusieurs causes : une démocratie participative désactivée ou abusivement mise sous tutelle technocratique ; des lanceurs d’alertes et des visionnaires contraints au bénévolat dans un contexte de vide institutionnel ; une carence culturelle conduisant la société à ne pas savoir formuler ce qui l’incommode sur le plan sensible dans les gestions territoriales venant impacter les espaces arborés ; des professionnels focalisés sur les changements climatiques, mais venant à omettre une crise psychosociale silencieuse où de plus en plus d’êtres humains se retrouvent à devenir « des déracinés dans des lieux déracinés…

Dans une période où les pouvoirs publics entendent entériner sur les années et les décennies qui viennent, la gestion forestière et celle des autres espaces arborés, nous les enjoignons à consulter les acteurs déjà impliqués dans la prospective pour approfondir la fonction psychosociale des forêts. Si ce n’est pour initier le meilleur, déjà pour éviter les tête-à-queue dans les réformes pas mûres.

Si ce dossier a déjà valeur d’introduction pour témoigner d’un contexte et d’enjeux à ne pas omettre, notre association entend aller plus loin avec ceux qui la consulteront…

La traversée d’une époque fragile à prendre en compte

Dans le dernier hiver avant l’an covid (2019) notre association avait rencontré un niveau d’assiduité et de questionnement exprimé par le public dans le débat forestier que nous n’avons pas retrouvé dans le peu de reprise en présentiel des conférences, tables-rondes, et colloques du dernier trimestre 2021. La conscience collective et sa vitalité apparaissent encore anesthésiées sous un état de sidération. A l’exception d’associations vent debout sur certains dossiers, l’attention du public reste encore molle et convalescente concernant des dossiers sensibles n’ayant rien à voir avec la pandémie. Assommée par un seul sujet d’alerte médiatiquement asséné, la société apparaît lasse pour s’ouvrir sur les autres dossiers critiques. Elle laisse filer ! Cette tendance creuse encore plus un clivage d’incompréhension entre les huis clos professionnels et les citoyens. Il est une expression du langage courant disant « qui ne dit mot consent ». Cet adage s’avère toutefois erroné si le silence démocratique relève de la sidération. Nous traversons une époque extrêmement fragile où toutes sortes d’impunités professionnelles peuvent se sentir les coudées franches car ne voyant plus aucune résistance à leurs actes dans cette anémie de la société civile. Mais lorsque la société récupérera l’énergie collective de sa conscience, elle pourrait se charger de ressentiment, là où elle se découvrira avoir été abusée dans un passage vulnérable. Aussi cela pourrait violemment se retourner contre ceux ayant fait acte de manquements, de visions partiales et partielles… Une réhumanisation du fonctionnement démocratique est donc cruciale dans les temps que nous traversons, et c’est là-dessus que la société va vraiment jauger la valeur des décideurs.

Où en est la concertation actuelle ?

Notons qu’entre fin 2021 et début 2022 le gouvernement supervise des rencontres intitulées « Les Assises Nationales de la Forêt et du Bois ». A l’évidence cela se joue dans une concertation restreinte et très sélective dans laquelle la fonction sociale n’est pas représentée, sauf très indirectement par des ONG dont ce n’est pas la ligne première. En plus d’être tenue à l’écart de toute maturation de conscience sur le sujet, la société civile, qui prend conscience d’être éludée de la concertation, éprouve le sentiment très désagréable d’être mise sous tutelle par des intérêts pas du tout empressés de l’entendre. Il s’agit d’une impasse de conscience sur un pan entier du dossier forêt. Cette impasse de conscience pourrait occasionner dans les années à venir maintes amertumes, maintes remontrances, voir même des tête-à-queue pour une sylviculture devenue trop exclusive dans ses logiques.

A noter en passant que cette appellation « Les Assises Nationales de la Forêt…» avait été déjà l’enseigne d’évènements en 2016 à Gardanne (13) et en 2019 à Villarceaux (95). Ainsi, si cette enseigne a été reprise au niveau gouvernemental, l’esprit vocationnel, lanceur d’alerte, et pionnier, de ceux qui avaient nourri en contenu cette appellation se sent injustement écarté. Dès que le monde des hauts fonctionnaires appréhende un sujet, il semble d’un seul coup perdre sa sève dans le glacis d’une technocratie réfrigérante. Nous assistons à une véritable fracture sociale entre l’éthique infuse du citoyen et des intérêts de managers ; entre les lanceurs d’alerte et les experts mandatés ; entre les penseurs et les statisticiens ; entre le bénévolat des vocations et les professionnels désabusés bien que rénumérés…

Protestation de la société contre un élargissement de voirie dans une forêt de la banlieue parisienne

Ne pas manquer un angle du débat

Notre association concentre son acuité sur les griefs sensibles et psychologiques d’une gestion sylvicole n’intégrant pas la fonction sociale de la forêt dans la totalité de son potentiel. C’est pourquoi elle s’inscrit d’abord dans une recherche en prospectives antidotes, et dans l’accompagnement sur le terrain des autres associations alarmées par le traitement des sites arborés, qu’ils soient « forêt » ou « pas forêt ». Il y a un grand choc entre le management sylvicole et l’évolution sensible d’une société dans sa relation aux arbres et aux forêts, face auquel nous ne pouvons plus perdurer dans la sécularisation des quant-à-soi. Notre association relève lourdement le fait que l’influence du forestier ne concerne pas que sa forêt, mais que sa mentalité managériale dans la gestion des arbres influence aussi la mentalité du BTP concernant son respect des arbres dans les espaces urbains. Ainsi, si l’exploitant forestier ne voit de l’arbre qu’une grume sur souche, les urbanistes ou les promoteurs considéreront les arbres pour rien de plus, et les abattront sans scrupules s’ils dérangent un chantier, au risque d’un préjudice sur l’intégrité d’une ambiance paysagère, sur « l’âme du lieu », sur la mémoire et la maturité d’un site. Nous insistons très vivement sur l’importance de cette prise en compte par les professionnels, en sachant que les populations urbaines, consciemment ou inconsciemment, souffrent de plus en plus de « déracinement humain dans des lieux déracinés ». Des urbanistes, des architectes et autres gestionnaires territoriaux, comme le management sylvicole auraient tort d’imaginer qu’une reconsidération des arbres et des forêts soit seulement là pour déranger leurs intérêts alors qu’en réalité, elle dirigerait différemment leurs projets et leur créativité pour des aboutissements plus heureux. Mais cela ne marche que lorsque la partie consciente de la société est concertée avant la formulation de projets ; jamais dans des enquêtes publiques après des projets ficelés. D’où un réapprentissage nécessaire de la responsabilité démocratique et écologique par les professionnels et les élus…

Le déracinement humain dans des lieux déracinés

Concernant « le déracinement humain dans des lieux déracinés », nous insistons très vivement que le gouvernement, les élus régionaux et locaux soient conscients de la juste ampleur de la gravité de ce sujet en regard duquel nous restons atterrés de leur ignorance. Nous déplorons très gravement l’acculturation des élus et des managers au sujet de la psychologie environnementale, de l’écopsychologie, de la phénoménologie, de la mésologie, de la géopoétique…

Les populations vivant le déracinement dans des lieux déracinés sont tout particulièrement en difficulté à formuler leur mal-être. Elles s’engourdissent dans une désespérance silencieuse et dans un somnambulisme pragmatique à la petite semaine. Les gens capables d’avoir le déclic de conscience par rapport à cet abandon sont tout au contraire passés par des expériences profondes de réenracinement sensible et savent formuler ce que les autres endurent en ne sachant toutefois pas l’identifier. Il est donc capital que les uns soient reliés aux autres dans la décongélation d’éveil d’une société, mais cela demande une professionnalisation de l’assistance, donc les moyens de se subvenir pour soutenir cette implication… Cela nécessite aussi une cohérence de visée des décideurs des PLU (Plans Locaux d’Urbanisme), des POS (Plans d’Occupation des Sols), des plans de gestion de forêts… avec ceux dévoués à soigner les populations du mal-être de déracinement.

Concernant la réhabilitation du vert en ville, les élus prouvent leur ignorance quand ils projettent la destruction environnementale des cités-jardins, alors qu’il s’agit d’un urbanisme supérieur en valeur de réenracinement aux écoquartiers.

La cité-jardin à Chatenay-Malabry. Un projet de chantier compromet l’existence des arbres matures qui outre leurs présences favorables au réenracinement de la sensibilité humaine, sont aussi signalés comme des climatiseurs naturels remarquables pour toute mentalité technocratique faisant fi des aspects contemplatifs et cognitifs. Les écoquartiers peuplés d’essences juvéniles exotiques ne peuvent suppléer cette carence.

Réapprendre la concertation

Les concertations interdisciplinaires entre professionnels, élus, et société civile sont difficiles à soutenir autant que l’intérêt prévaut sur l’éthique et non l’inverse. Mais généralement ce rapport de forces est masqué par une autre tournure du débat où les considérations relevant de l’expertise technique noient dans les méandres analytiques tout rappel basique à une éthique manquée. Les naturalistes, écologistes se sont tellement pliés à cette dialectique que nombre d’entre eux sont devenus dans le protocole du langage plus technocrates que les technocrates pour se faire entendre d’eux. C’est même une bonne façon de s’y prendre pour faire carrière semble-t-il, ou du moins récolter un peu d’attention sur les sujets d’alerte que l’on ne veut pas voir enterrés. Râler ne tiendrait pas longtemps dans ce genre de cénacle. L’humeur reste ghettoïsée au langage de la rue qui devient le déversoir des urgences abandonnées. Un néophyte prônant l’éthique a vite fait de se décourager s’il se trouve parmi des experts déconnectés sur le plan du sensible. Souvent un débat ou une concertation sont pliés d’avance par le cadre relationnel dans lequel on fait rentrer l’interlocuteur qui se voit dès lors complètement bridé dans ce qu’il voudrait alerter. Cette contextualisation de la rencontre, si des scientifiques naturalistes, des universitaires… peuvent s’y adapter plus ou moins, la société civile dans la fonction sociale de la forêt qu’elle voudrait défendre ne s’y retrouve pas la plupart du temps. Surtout dans les aspects psychologiques et éthiques trop rarement relevés, et qui pourtant se rapprochent le plus de ce qui ne fera pas souffrir les générations futures. Dans ce registre, notre société n’a pas ses experts appropriés et pour le coup reprend en copié/collé les argumentaires scientifico-naturalistes théoriquement prévus pour défendre la fonction écologique de la forêt. Ainsi la société civile se retrouve souvent dans la position analogue à la victime qui n’aurait pas l’avocat approprié pour soutenir sa plaidoirie. Elle se retrouve seulement à être la porte-parole d’un autre corps de compétences, lui aussi bien moins assimilé qu’il serait nécessaire. Or il serait tellement plus important qu’elle ait une ligne d’argumentaires directement issue de sa représentativité et de sa maturation.

 La difficulté pour un éveil de trouver sa conscience !

Notre association est consciente que trop d’empathie aux arbres agacerait tout gestionnaire territorial de transformer un site car découragé d’entreprendre. Il est évident que la conscience de notre société ces dernières années a commencé à revenir de loin en redécouvrant les arbres, les forêts, et que notre mentalité collective ne sait pas encore vraiment quelle considération attribuer aux arbres et aux écosystèmes forestiers et dans quelle mesure ? A ce titre, l’ignorance n’est pas que citoyenne. Elle est même, et parfois encore plus, managériale et politique ! C’est à se demander si l’incapacité à se concerter et s’assimiler ne cache pas l’incapacité à répondre en dehors de ses opinions et intérêts initiaux ?

La compréhension de l’influence des lieux sur le développement ou l’atrophie de la sensibilité et de l’intelligence humaine reste un sujet manifestement éludé dans les cursus de formation des décideurs territoriaux les conduisant à ne pas être dans la complétude de leurs responsabilités. Dès lors, il reste à la société civile et aux associations pour unique recours de s’indigner de leurs manquements. Elles s’y attèlent avec l’ingrate difficulté de se sentir orphelines d’une culture et d’institutions pour légitimer leurs indignations. Cette carence n’est plus soutenable dans les déséquilibres actuels de notre société.  Le militantisme ne doit en aucun cas devenir la béquille d’une culture handicapée de la partie manquante de sa conscience. Ce grief est plus encore renforcé par la mise hors d’état de servir de la culture par la politique de contrôle de la pandémie. Il est à noter que cette mise hors d’état de servir de la culture, précisément à l’endroit où une maturation collective s’avère cruciale, est liée à des coupes budgétaires sélectives depuis au moins trois mandats présidentiels. Ainsi la désactivation de la maturation des consciences dans la vie démocratique était déjà antérieure au covid et au risque de l’illusion, arrange la superficialité de beaucoup d’intérêts apparents. A l’évidence, la société civile est désenchantée de la politique comme jamais elle ne l’a été. Elle sent bien qu’il n’y a pas de civilisateurs ; uniquement des technocrates avec un professionnalisme ne semblant avoir d’égal que la perte de l’âme. Cela crée une déprime indicible, profonde et latente dans la population qui ne sent plus l’espoir, et qui se régurgitera demain dans une colère ne sachant pas toujours exprimer toutes les racines de son mal-être. Nous sommes conscients de l’infirmité pathétique dans laquelle nous sommes en voie de tous sombrer ensemble. Nous alertons donc le gouvernement, les hauts fonctionnaires, et les élus du danger qu’ils potentialisent en tarissant la culture vouée à servir la maturation des consciences dans les rapports humains/nature ou humains/environnement. Nous alertons du fait que ceux qui voudraient répondre à cette crise en antidote n’ont d’autres recours que de le faire professionnellement dans la gratuité du bénévolat, car ils sont abandonnés des institutions et des médias qui ne sont pas conscients de la gravité du problème. Il devient violemment injuste que des professionnels soient contraints à la gratuité du bénévolat pour contre-expertiser les erreurs de professionnels confortablement payés pour nous fourvoyer collectivement. Il y a une véritable fracture entre l’éveil des consciences et le professionnalisme de décision qui accroît l’insoutenabilité de notre vivre ensemble.

La hiérarchie des thèmes en écologie occulte les crises qu’on ne voit pas venir

Ce n’est pas que l’écologie ne soit pas à l’ordre du jour, mais le dossier « climat », et secondairement le dossier « biodiversité », préemptent l’attention sur tous les autres sujets. Nous sommes en train de commettre une erreur stratégique comme les militaires l’ont fait à la fin du XXe siècle en misant tout sur la dissuasion nucléaire et n’anticipant pas la montée du terrorisme. Aujourd’hui l’écologie est complètement hypnotisée par la dissuasion climatique et par les solutions techniciennes, au risque de l’incompétence à répondre à la crise croissante de populations déracinées vivant dans des lieux déracinés, avec pour cortège de conséquences : la densification urbaine amplifiant les problèmes, la détérioration qualitative des paysages arborés de plus en plus immatures, une dégradation psychologique de masse (également psychosomatique !), les besoins de compensation amplifiant la pollution, les exodes vers le littoral…

A l’inverse s’il y avait une politique s’orientant vers le réenracinement humain dans des lieux gérés pour favoriser le stade mature des arbres, la poétique paysagère, et l’adéquation des espèces avec leur région, nous n’aurions plus cette hiérarchie désincarnée des priorités écologiques, et nous nous apercevrions qu’en réglant tous les dossiers, simultanément et en synergie, notre efficacité, et même le sentiment de retrouver un bonheur, s’en trouveraient accrus. Ce n’est pas une voie sous tutelle d’experts spécialistes, mais la voie de l’interdisciplinarité entre experts et penseurs. C’est la voie de la maturation collective qui a aussi besoin de budgétisation pour sa mise en œuvre. C’est la voie de la sensibilité holistique et de l’intelligence systémique avec laquelle les générations futures auront à résorber nos manquements.

Le vertige sur notre maturation commune restant à accomplir

En considérant une bonne volonté d’écoute et de prise en compte des forestiers et de tous les gestionnaires d’espaces arborés, il n’est pas dit que la conscience de la société civile se soit encore bien stabilisée dans l’émergence de sa conscience concernant les arbres et les forêts. Cela se voit de manière très empirique lorsqu’à la vue de bois mort, un passant néophyte dira : « la forêt est sale. Le forestier n’a pas nettoyé ! » alors que le naturaliste l’estime en tant que socle de la biodiversité forestière par la nourriture et l’habitat qu’il permet à nombre d’espèces. Le rift entre des avis contraires traverse la fonction sociale des forêts quand certains voulant la sécurisation et la propreté (absence de bois mort) rentrent en contradiction avec ceux qui invoquent l’importance capitale de l’éveil sensible aux cycles de la forêt pour recentrer et enraciner la conscience de notre société. Ainsi la question se pose de savoir si nous préférons nous plier à une obsession sécuritaire, au grand dam d’une maturité d’éveil sensible collectivement vécue, en sachant que le risque d’un accident de chasse, de trottinette, ou de voiture, reste autrement plus élevé sans qu’on interdise ces activités. Nous sommes là sur du concret, mais cet écart de compréhension se retrouve décuplé encore à d’autres étages quand nous voulons repenser toute la politique régionale ou nationale de la forêt. Il y a tellement de paramètres enchevêtrés !

Parce que les dynamiques écologiques se moquent de la parcellisation foncière et de toutes frontières, la forêt reste en soi un bien commun, pas seulement aux humains, mais à d’autres espèces également. Donc se pose la question de la répartition du bien commun sur toutes les parties de sorte que nous ayons une régulation du tout. Mais quel médiateur serait-il capable de tenir la ligne du débat décisionnel pour gérer l’optimisation et la justesse dans cette répartition du bien commun ? Nous voyons la société civile de plus en plus ouvertement douter que les hauts fonctionnaires de l’Etat soient vierges d’impartialité par rapport à la pression des lobbies sur leur carrière pour être capables de soutenir la position du juste dans cette médiation.

Sortie pour se réenraciner…

Le débat démocratique concernant la gestion forestière repose sur une iniquité structurelle dans la relation de la société avec son gouvernement

Concernant les acteurs de la forêt, ceux qui représentent la fonction économique de la forêt se rassemblent sous le ministère de l’agriculture. Ceux qui représentent la fonction écologique peuvent en principe espérer audience auprès du ministère de l’écologie.  Mais ceux qui représentent la fonction sociale de la forêt n’ont pas de ministère attitré et unique. Ils sont donc renvoyés à la rue. Cela accentue encore plus leur subordination et leur exil au sein de la politique, des institutions et de l’administration. Si la fonction écologique est portée par un nombre réduit de grosses ONG (WWF, FNE…), il n’en est aucune pour représenter la fonction sociale de la forêt dans les grandes questions qui amènent à réviser très différemment les rapports humains/nature à la lumière des connaissances en éducation, dans les arts fondamentaux, en sylvothérapie, en écothérapie, en écopsychologie, etc. Notre association insiste très lourdement pour que la fonction sociale de la forêt ne soit pas minorée aux seuls « usages récréatifs » ; ces termes prouvant l’ignorance de ceux qui les prononcent concernant les autres registres de la fonction sociale des forêts.

Nous, association Forêt Citoyenne et associations sœurs, parce que nous représentons la fonction sociale des forêts, déclarons que les décisions de politique forestière et de gestion territoriales des espaces arborés seront considérées comme ayant floué la société civile, si nous ne nous voyons pas consultés à des instants clés de l’élaboration de programmes déterminant le paysage des années futures. S’ensuit dès lors que souffrant d’une dégradation de la démocratie participative notre indignation prendra nécessairement la relève de la prospective qu’il ne nous a pas été permis d’apporter. Sans vision globale, pas de projet durable. Donc nous demandons au management forestier et urbain, aux élus, aux gouvernements d’inclure nos prises de conscience s’ils veulent éviter comme nous de payer le prix des fausses couches…

La grande question de Forêt Citoyenne

L’éditorial de la rentrée

Une vision  de fond pour éviter qu’un pragmatisme se noie :

Parfois, il faut recourir à telle ou telle culture pour nous donner à comprendre plus vite ce qui se trame dans les dessous de notre actualité.

Vous souvenez-vous de cet âge où vous étiez encore jouvenceau, l’âge où certains d’entre nous ont lu Chrétien de Troie et les légendes du roi Arthur ? Cet âge d’avant les identifiants et les mots de passe venus pour remplacer les armures et les boucliers. Non point les vôtres, mais ceux d’une administration à l’égard de ses administrés désormais canalisés vers les gouffres de l’anonymat ! Oui, vous avez bien entendu. Il s’agit bien d’abimes, de néant, en regard desquels les états-majors politiques ont décroché de tout lien vital avec notre société et une certaine nature ! Cela ressemble à des douves incommensurables totalement infranchissables pour les vocations nées de l’autre côté dans les réseaux conviviaux de proximité. Elles sont devenues exilées comme jamais sous les leaderships de la financiarisation qui n’ont plus l’air d’être réellement présents à ce qu’ils financent.

Tout est sorti de l’échelle humaine, de l’échelle des écosystèmes…
L’humanité est  ensevelie sous sa puissance, et désormais l’humain déchu de toute possibilité à s’autodéterminer.

Mais insistez ! Continuez à vous remémorer ce temps lointain des aïeux; une époque anté-QR-code pour vous ! Alors ce vieux légendaire pourra vous rappeler quelque chose. Mais si vous n’y parvenez toujours pas, faites perdurer encore votre effort. Rappelez-vous d’un fameux « roi pêcheur en langueur » devant une question que des chevaliers ne posent jamais quand passe devant eux le Saint-Graal. Vous souvenez-vous de cette stupeur du chevalier retenant en lui toute question au risque de relancer la langueur du roi et la torpeur de ses sujets  ? Vous souvenez-vous de cette terre inexorablement « gaste » quand elle est sous la coupe d’un règne sans présence ?

Mais pourquoi parler de cela actuellement ? N’est-ce point un propos ringard et dérivatif devant les problèmes très factuels rencontrés par les lanceurs d’alerte ?

En fait, cet imaginaire pourrait ne plus être suranné quand on se sert de sa grille de lecture pour décrypter notre actualité ; puis au-delà du pratico-pratique, atteindre un mal  ayant empêtré nos mentalités. Toutefois, il y a une transposition à faire.

Pour la torpeur du peuple, parlons plutôt de sidération.

Quant à une démocratie sans roi, ce sont dorénavant les organes de la société qui sont en langueur.

Car les chevaliers administratifs et financiers ne posent jamais la question qu’il faut poser pour nous délivrer d’un progrès « gaste » (stérile dans le langage actuel) et d’une crise écologique croissante. Désormais ce n’est guère la stupeur qui nous est signifiante mais le déni d’une mentalité technico-commerciale qui a pour supériorité d’avoir simplement oublié son oubli. Ce qui est tombé en langueur (« dépression » dans le langage psy actuel) est inhérent à la perte de conscience visionnaire pouvant unifier un management et son équipage.

C’est évident ! Le monde professionnel, en France sombre de plus en plus dans une atonie profonde sous un affairisme somnambule et inconsistant. Mais alors aujourd’hui pour ce qui concerne la forêt, qu’est-ce qui peut résonner en équivalence du Graal ? Qu’est-ce qui peut résonner en équivalence de la question à ne pas manquer tandis que les successeurs des chevaliers d’antan se trouvent saisis de paralysie quand c’est justement l’instant précis pour la poser !?

Le « graal » pourrait être aujourd’hui apparenté à tout ce qui peut reconnecter la nature inconditionnée à l’humain inconditionné. En dehors de cela, pas d’éveil réel à espérer à la source. C’est là le rappel au fondamental quelles que soient les croyances, imaginaires, représentations…

La question à poser (du moins la première…) est brute de décoffrage:

La sylviculture et la filière bois doivent-elles dégrader inconsidérément l’écologie des forêts pour s’adapter à un système économique qui n’est plus économiquement réparable?

Malheureusement comme à toute bonne question posée, soit on a pour réponse un mutisme absolu, soit du pis-aller de réponses pour masquer l’incompétence des responsables ou l’impuissance d’une régence technocratique. Apparaît-là un tragique déficit de maturation chez les professionnels qui ont le nez collé sur du pragmatisme à court terme et sur leurs intérêts privés jouant de plus en plus à l’encontre du bien commun.

Nous voyons cette question sciemment éludée car tout pouvoir a bien trop peur de voir le tapis lui glisser sous les pieds, et chacun sait, s’il est honnête et sans esquive avec ce questionnement, que c’est le point de bascule irréversible de notre destin collectif ! Mais pourquoi faudrait-il en avoir peur si c’est justement pour trouver une destinée qui nous libère de la fatalité ?

BB

Quand les arbres nous révèlent…

Les forêts et les arbres révélateurs de nos inclinations réelles à les aimer ou  ne pas les aimer, au risque du miroir posé :

« Tel chien, tel maître »  dit-on. L’adage « Tel ensemble arboré, tel décideur»… n’est pas moins avéré.

Trop souvent, la façon d’aimer ou pas un paysage forestier, tout comme un espace arboré urbain ou rural reste conditionnée à une subordination de la sensibilité des citoyens sous des professionnels au service d’intérêts d’un tout autre ordre. Il s’agit là d’un arbitrage qui révèle pas moins la valeur humaine des gens qui ont autorité sur les autres, au risque de toute violence morale dans la prévalence imposée. Car se trouvent mis en jeu les droits universels inconditionnés de tout être humain dans sa relation au Vivant outrepassant tout arbitrage décisionnel relatif aux besoins privés de marchés. Parfois nous pouvons rencontrer des professionnels tout à fait compréhensifs sur la présence régénératrice de l’arbre dans tous ses âges au sein de l’espace commun. Dans d’autres contextes, cette pondération professionnelle est rompue avec le prélèvement excessif de bois sur une forêt, ou bien d’abattages d’arbres visant à ne pas déranger les intérêts du BTP qui s’imposent sur le paysage social. Ces dérives de comportements contreviennent évidemment à la multifonctionnalité des arbres et des forêts. Dans de telles situations, une démocratie peut l’endurer avec le sentiment outragé d’une mise sous tutelle, comme si dans la sphère économique, l’amour du Vivant rappelé par les citoyens devait être systématiquement traité au même titre qu’une maladie dégénérative ! Il est fréquent que cet ascendant imposé par des élus et des professionnels soit traumatiquement perçu par la société civile. A ne pas y prendre garde, c’est là un point de départ où s’entame inexorablement la déchirure de confiance entre le monde professionnel et le monde des citoyens avec toutes les conséquences qui s’en suivront à plus ou moins long terme, autant pour les uns que pour les autres…

La respectabilité des espaces arborés et des forêts tout comme la maturité de conscience collective associée à la vie des arbres, ne sont pas homogènes, d’un pays à un autre, d’une région à une autre, d’une commune à une autre. A voir par exemple comment l’écosystème forestier est très différemment estimé dans le Parc National de Bavière en Allemagne, ou dans la Forêt de Soigne près de Bruxelles.

Ainsi relève-t-on des propos en forêt de Soigne tels que « la non-gestion de cette forêt ne serait pas possible parce que la sécurité des usagers ne serait pas assurée », souligne l’ingénieur directeur.

« Une forêt qui n’est pas gérée, je peux vous garantir que c’est une forêt peu accueillante pour les promeneurs, les cavaliers, les cyclistes qui viennent profiter de cet écrin de verdure. Les gens ne réalisent pas que nous devons gérer cette forêt également pour permettre au public bruxellois de s’y promener », confirme Willy Van De Velde . « … Dans une forêt vierge, sans aucune intervention humaine, il est très difficile de circuler », conclut le garde forestier

Pourquoi ces propos vaudraient-ils en forêt de Soigne alors que le Parc National de Bavière a su largement coupler la préservation de la naturalité forestière avec l’accueil du public ? A l’évidence, des opinions sont jetées à l’emporte pièce pour brouiller les consciences. A en croire d’autres échos, la conscience de fond de ceux qui s’expriment ici semble plus justement avisée que ce qu’ils expriment et laissent à penser. Aussi nageons nous dans la confusion.

En forêt de Soigne (Belgique) l’accueil du public est considéré incompatible avec la naturalité forestière. Ici, dans le Parc National de Bavière, « impossible » n’est pas allemand.

En fait, le débat est déjà dévié. On oublie de relever que bien avant d’assimiler des gradients de naturalité forestière pouvant être adaptés aux contextes locaux ; ce qui est outrageusement mis en péril sous les pressions actuelles des marchés de la filière bois et de l’immobilier, ce sont les stades matures des arbres, Ils sont entamés avec une telle frénésie que nous assistons à une rationalisation à outrance des alibis.

Nous constatons une ignorance considérable du public concernant les arguments légitimes pour soutenir nos arbres et nos forêts, et beaucoup d’appétences de marché, tant sur le bois que sur le foncier malencontreusement occupé par des arbres. Aussi avons nous de quoi parfois largement douter de ce que l’on donne à croire aux citoyens. Dans leurs visions restreintes, ces intérêts ont avant tout besoin de l’acculturation de la société pour renforcer les profits d’intérêts privés au détriment du bien commun. Cela nous conduit à un gâchis inouï quand ces intérêts pourraient être dirigés à meilleur escient sans être perdants. On tombe ainsi dans une rationalisation de l’irrationnel tenu par des pragmatiques incapables d’être visionnaires.

Pas moins que les haros sur les coupes rases, le grand âge des arbres menacé d’extinction devrait être plus que jamais optimisé :

L’espérance de vie des arbres est soumise à l’érosion de sa longévité sous les intérêts humains bien plus que sous l’effet des changements climatiques, eux aussi d’incidence humaine.

Déjà l’âge décrété de coupes des arbres est généralement très en deçà des stades de dépérissement des arbres. 80/120 ans pour les chênes qu’on laissait aller jusqu’à 250/300 ans dans les futaies Colbert qui est un seuil anticipateur de dépérissement où l’arbre devient ensuite inexploitable. Aujourd’hui cette tolérance se fait appelée  « îlots de vieillissement ». Appellation à ne surtout pas confondre avec les « îlots de senescence », surtout dans l’interprétation française revue et corrigée par les intérêts. L’acculturation est telle que les gens (parfois même les jeunes professionnels du bois et des espaces verts !) confondent l’âge d’exploitabilité des arbres avec l’espérance naturelle des arbres dont on oublie qu’elle peut être très largement supérieure.

Par ailleurs comme le dit le botaniste  Francis Hallé, on circule bien mieux dans le sous-bois d’une forêt primaire alors que les stades de cicatrisation végétale, d’enfrichement ou de « parcelles en régénération » sont plus impénétrables. Comment ce type de paysage pourrait-il être plus avenant pour les promeneurs ? En forêt comme dans l’humain, la jeunesse est vide quand il n’y a plus de profondeur dans le grand âge. Qui a envie d’un monde comme celui-là ? En réalité les gens étouffent d’absence mais ne s’en aperçoivent pas. C’est le plus difficile à déclarer.

Aime-t-on réellement une forêt quand on ne sait même plus aimer le déroulé intégral du cycle des arbres ? Les peuples premiers respectaient leurs anciens comme des sages. Aujourd’hui notre société a des seniors que les familles parquent dans des maisons de retraites tandis qu’ils sont une charge. Les arbres sont vus pareillement. La sauvegarde des fins de cycle définit l’amour qu’on a ou pas des êtres vivants, et qui sait si ceux que l’on oublie d’aimer ne se dégradent pas plus vite à défaut de mourir plus vite ? Cela ne vient pas toujours par un rapport de causes à effets direct mais dans un climat global inducteur. Climat psychologique pour les humains. Climat météorologique pour les arbres… Ceux qui ont oublié l’ancien en toutes vies humaines, animales, végétales seront à leur tour oubliés quand ils seront vieux car ils n’auront plus aucune valeur fonctionnelle pour leurs semblables.

Une société où on cache la senescence, soit en la sécularisant, soit en l’abattant est une société malade d’hyper-fonctionnalité qui a perdu son âme. La façon de voir la forêt donne toujours le reflet de son être, ou de l’être d’une société. La maturité organique que l’on aime dans la nature reflète la maturité spirituelle dans l’humain tout comme l’absence de maturité organique n’a aucune importance pour l’absence de maturité psychologique en l’humain.

Dans les Hauts-de-Seine, la Cité-Jardin de Chatenay-Malabry, avec des arbres pluri-centenaires constitue un patrimoine arboré exceptionnel faisant durement défaut aux écoquartiers contemporains très déficitaires en maturité végétale. Par ses préfets l’Etat, et une levée citoyenne entendent les préserver à contrario de la commune attisée par un projet de grand chantier immobilier voulant détruire 80% de cet ensemble. Signalons qu’à Berlin, des cités-jardins équivalentes sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO !

Être devant de très vieux arbres a un effet psychologique apaisant car l’être humain a besoin de sentir des paysages exemptés de la voracité de l’exploitabilité pour se retrouver lui même dans les repères fondamentaux de la vie et se réaccorder dans son équilibre psychique et mental. C’est déjà un privilège de s’en apercevoir car une masse énorme de gens se retrouvent aujourd’hui complètement perdue par le décentrement à trop exploiter/détruire/construire. On croirait que le monde professionnel est ravagé par ce syndrome de « surexploitons tout pendant qu’il en est encore temps avant que la société se lève où qu’une crise écologique majeure survienne ». Cette mentalité dite « rationnelle » est en réalité très mortifère dans les conséquences non-conscientisées de ses mobiles.

Sans arbres matures, sans arbres sénescents, voire dans certains contextes, sans chablis et chandelles, les paysages sont lessivés dans leur profondeur poétique. S’en suit que la société perd tous ses liens de réenracinement dans les paysages où elle vit ; surtout à une époque encore plus malmenée par une frénésie de spéculation foncière… Devant cette ambiance délétère, une folie indicible et une dépression latente s’emparent des gens car ils sont agressés dans les repères fondamentaux de vie qu’ils peinent même à reconnaître eux-mêmes !

Le temps entièrement déployé des rythmes et des cycles d’une forêt mature, ou mieux d’une forêt intégrale dans sa naturalité ,donne une matrice de rythmes et de cycles à la société lui permettant d’entretenir sa justesse de progrès dans la biosphère. Il est absolument nécessaire qu’on ait des paysages arborés à maturité pleinement permise aux abords des densités urbaines pour lester l’équilibre mental des populations, et il faut accompagner la conscience des populations à ce rappel. Cette population, devenue aujourd’hui zombie, a à revenir de très loin, et nous avons devoir de nous en inquiéter vivement ! Elle est toutefois inconsciemment réactive, car en dégradant la maturité des paysages arborés attenants aux grandes agglomérations, on précipite l’exode des bobos vers le mode rural et demain, les grandes villes verront en seul face à face une technocratie immergée dans des océans de populations immigrées vivant comme des déracinés dans des lieux déracinés, tandis que l’intelligentsia des pays aura décampé vers les campagnes. Covid et confinements ne peuvent être qu’un accélérateur du phénomène. Cela est la conséquence mécanique de la surdensification urbaine servant avant tout les profits privés des promoteurs et des spéculateurs sans vision civilisationnelle ainsi que de l’abus à couper du bois. Tous ces comportements professionnels font dangereusement fi des besoins réels en l’humain et vont nous conduire au chaos. Si nous ne jugulons pas ce phénomène, notre pays va vivre une crise sociale sans précédente de plus en plus ingérable. Donc préserver les vieux arbres et la naturalité des forêts fait parti d’un plan global civilisateur, à ceci prêt que trop de technocrates ont actuellement démissionné de leurs prérogatives civilisatrices au plus grand dam de notre destin commun.

S’immerger dans du temps organique plus grand que soi dans un âge des forêts qui a dépassé l’âge de coupe et l’âge le plus long dans le cycle des arbres, c’est avoir droit au bain d’intemporalité dans lequel une civilisation recentre ses valeurs existentielles. Autrement notre société est juste un bateau sans quille promis à la dérive des marchés, au risque de se perdre et de péricliter elle-même car aillant à jamais perdu ses repères fondamentaux de vie. Sans ce référentiel profond de forêts permises au déroulé intégral du cycle des arbres, nous pouvons voir notre société partir en décrochage du réel dans des excentrements économiques qui ne font plus sens. Or aujourd’hui on a justement une jeunesse qui souffre et des aînés en sidération. Dès lors, la société demande le plus expressément au monde professionnel et à leurs élus (sont-ils encore les nôtres ?) que leurs agissements retrouvent du sens et que leur vie ne soient pas vide d’essence. Il y a une urgence intempestive à retrouver les repères fondamentaux d’existence pour notre « reset » économique post-covid.

Les adultes qui ont le pouvoir décisionnel aujourd’hui pourraient même craindre une séniorphobie quand ils sortiront de la vie active, car la jeunesse qui va suivre n’aura pas beaucoup à les remercier pour leurs manquements éthiques. Aussi assurer une continuité de renouvellement dans la stabilité de maturité des forêts et des espaces arborés fait partie des initiatives de premières valeurs dans la passation entre les générations pour le bonheur de notre descendance et pour notre dignité de passeur.

Bernard Boisson

Les coupes rases sanitaires en Île-de-France  au risque de produire l’effet inverse de leur intention – janvier 2021 :

 

Coupe rase sanitaire dans la forêt de Malmaison (Hauts-de-Seine)

Le covid19 cache-t-il les maladies parasitaires qui atteignent aujourd’hui nos forêts ? Médiatiquement, cela ne fait aucun doute.

Notre association Forêt Citoyenne s’en inquiète compte-tenu qu’elle enjoint la meilleure optimisation possible dans la continuité de renouvellement des stades matures de forêt.

En effet, les stades matures des arbres permettent l’effet climatiseur des forêts périurbaines, leurs rôles de stations d’épuration de l’air, de puits de carbone… pour le dire scientifiquement aux moins contemplatifs de nos semblables.

Les stades matures de forêts permettent aussi une intériorisation des paysages quand la ville est éventée dans ses affaires, son agitation mentale, son trafic et son stress. Ils sont une alternative de décompression aux territoires urbains hyper-fonctionnalisés tout comme à l’oppression consumériste. Les stades matures de forêt ont une valeur sylvothérapeutique accrue indispensable à l’équilibre physique, psychique et mental des êtres humains et à l’évidence dans ce domaine, tout n’est pas encore exploré… Donc n’est pas estimé le choc en retour de ce que nous altérons.

Désormais, il faut savoir que le réchauffement climatique accélère les maladies des arbres. Il n’y a plus de gel hivernal durable comme autrefois pour juguler les attaques parasitaires. A l’inverse, les coupes rases sanitaires (CRS) renforcent l’effet canicule qui renchérit ces agressions.

On ne peut s’empêcher de penser qu’un prélèvement plus sélectif et progressif des arbres avec renouvellement eût mieux pondéré ce nouveau péril.

Lui même en désarroi, l’ONF n’a manifestement pas les moyens du défi : sous-effectifs, manque de lignes de crédit dédiées…

On fait venir en Île-de-France des sous-traitants de la coupe équipés d’abatteuses qui ne se dérangeront pas pour de petits chantiers quand des coupes sanitaires plus sélectives et chirurgicales avec régénération permanente sous ombrages auraient sans nul doute mieux amorti les effets de chaleur et la propagation des maladies.

Et si avec le réchauffement climatique certaines coupes rases ne repartaient pas en forêt ?

Le sol ne sera plus drainant après son tassement par les machines de chantier, ce qui est contre-sanitaire.

On parle même de parcelles forestières pouvant tomber en « impasses sanitaires » au risque de ne pas pouvoir repartir en forêt. Sans doute cela serait à terme une occasion formidable pour libérer la place au BTP sous le feu vert d’élus dont la vision financière n’est pas du tout avisée de la gravité du phénomène en court. Ce scénario pourrait bien ne plus être de la fiction si un jour on nous apprend le démantèlement de l’ONF et la « balkanisation » des forêts domaniales.

Les grèves des transports suivies du covid et de ses confinements obligés ont précipité plus encore le mal-être des franciliens qui n’ont de solution qu’à fuir une densification urbaine déjà trop prégnante. Abusés par les chantiers, les citoyens souffraient déjà d’une surdensification dynamisée par la spéculation foncière faisant fi de la vivabilité des lieux. Ce n’est donc vraiment plus le moment pour la Région Île-de-France de négliger ses espaces verts à commencer par l’état des forêts domaniales. La société civile a très vivement de quoi s’inquiéter que ses élus ne s’inquiètent pas de l’état sanitaire des forêts péri-urbaines ! Aussi désirons-nous ne pas voir cette problématique éludée aux élections régionales de 2021.

On cherche désespérément où se trouvent les lignes de crédit dans une recherche en assistance sanitaire ne relevant pas de la CRS qui rappelle la saignée des médecins de Molière. Évidemment, on voudrait voir la solution provenir d’une science avisée des défenses immunitaires inhérentes à l’organisation symbiotique des espèces en évitant les effets secondaires de produits phytosanitaires. Aussi ces lignes enjoignent un appel ouvert aux compétences pouvant apporter leurs contributions aux solutions. Reste à souhaiter que nous n’ayons pas dans l’avenir un accroissement exponentiel du phénomène conduisant à une promiscuité conflictuelle des intérêts projetés sur les forêts. Car plus nous gérerons les problèmes en dérivation, plus demain nous vivrons de manière tendue notre immaturité collective et politique sur ces sujets.

Texte de Bernard Boisson

Photos Forêt Citoyenne

Voir des arbres sains partir dans des coupes rases sanitaires jette forcément le trouble chez les citoyens avisés qui s’attendent à voir les forêts domaniales franciliennes évoluer vers un profil de forêt irrégulière. Ce malaise peut être renchéri par des souvenirs de coupes sanitaires alibi en province dont la raison première était autre. En Île-de-France la problématique reste distincte, mais la crise bien amorcée.

Maladie de l’encre sévissant sur les châtaigniers… et aussi sur certains chênes.

Coulure indicatrice de la maladie de l’encre sur un jeune surgeon de châtaignier

Maladie de suie mettant en péril un jeune érable

autre attaque parasitaire sur merisier…

Les galles de cynips sont le premier signe d’alerte des châtaigniers malades. Le cynips est un insecte venu de Chine. Il parasite les bourgeons de l’arbre pour nidifier ses larves (galle). Quand les galles dégénèrent, elles deviennent la porte d’entrée d’un champignon : le cryphonectria parasita vecteur de la maladie de l’encre.

Galeries de capricornes. La présence du capricorne dans des grumes entreposées est à interpréter avec précaution et différemment dans des coupes sanitaires… Nous avons de ce côté des espèces rares nécessitant protection…

Tout le monde est en suspens de la reprise végétale au risque d’une impasse sanitaire (photo Mascotte Production)

La question est posée d’une synergie d’emballement entre les maladies parasitaires des arbres, le réchauffement climatique, et les coupes à blanc sanitaires pouvant au fil des ans plomber en crescendo le redémarrage des forêts. Et si comme pour le covid-19 nous étions face un phénomène exponentiel à cause de la mise en synergie négative des interactions ? A souvent été évoquée que la coupe de bois ne doit jamais dépasser le taux d’accroissement de la forêt. Mais ne doit-on pas maintenant urgemment réviser les plans de gestion et réduire la coupe de bois si le taux d’accroissement des forêts se retrouve considérablement affaibli par les crises sanitaires ? En effet, trop de présomptions nous laissent craindre ce manquement en bienveillance de la filière bois dans la pression croissante de ses appétits sur la ressource.

 

Pour en Savoir plus :

Témoignages vidéo sur la toile :

Interview de L’expert Louis Vallin évaluant des coupes sanitaires en forêt de Malmaison /Bois de Saint Cucufa :

Réactions de la population par rapport aux coupes sanitaires :

Stop à l’exploitation intensive de la forêt domaniale de Fausses-Reposes !

La forêt de Fausses-Reposes est une forêt urbaine aux portes de Paris (à 5 km environ de la porte de Saint Cloud), classée en forêt de protection1 par décret en Conseil d’État le 23 août 2007, cette protection n’excluant pas l’exploitation du bois. Les coupes de rajeunissement sont présentées comme nécessaires à la pérennité de la forêt 2. Or l’existence de réserves biologiques intégrales (RBI) 3 et de forêts en libre évolution4 montre qu’une forêt peut survivre sans exploitation.

Les arbres remarquables disparaissent

Les grands arbres bordant les chemins, pour la plupart inscrits à l’inventaire départemental des arbres remarquables du Conseil général des Hauts-de-Seine disparaissent progressivement pour des raisons de mise en sécurité des promeneurs, le dépérissement d’un grand nombre d’arbres ayant été constaté. Cette décision semble aujourd’hui se faire systématiquement et brutalement, sans avis préalable ni concertation avec les associations et les usagers.

Ces arbres remarquables étaient 126 sur la seule commune de Ville d’Avray en 2014, combien en reste-t-il aujourd’hui ?

Le classement en forêt de protection du massif de Fausses-Reposes précise « la présence d’arbres remarquables confère à ce massif des qualités exceptionnelles. De telles essences forestières ont une incidence sur le climat car elles contribuent au maintien d’une humidité atmosphérique convenable et interviennent localement sur la circulation de l’air 5 ».

La durée de vie des arbres remarquables devrait être prolongée au maximum mais nous abattons le troisième âge des arbres ayant vraiment valeur d’arbres remarquables.

Les coupes sanitaires se multiplient

L’ONF a pris en 2017 la décision d’abandonner les coupes rases induites par la gestion en futaie régulière à l’échéance de 2024 mais le changement climatique fragilise actuellement les arbres et des problèmes phytosanitaires atteignent des massifs entiers.

Le choix s’offrant alors au gestionnaire est d’intervenir par prélèvement des arbres atteints avant dévalorisation du bois suivi de replantation, ou de laisser les dynamiques naturelles apporter des réponses spontanées de retour à l’équilibre sans intervenir (mutation génétique produisant des plants résistants, venue de prédateurs de ravageurs, …).

Il semble que la réponse actuelle soit de sortir beaucoup de bois dans un temps le plus court possible pour sauvegarder leur qualité.

Un risque d’inondation accru par l’exploitation industrielle

Des tonnes de bois s’accumulent au bord des chemins et les boisements s’éclaircissent de plus en plus. La mise en place d’une gestion en futaie irrégulière doit rendre les parcelles accessibles et exploitables par les entreprises forestières. Des voies de cloisonnement permettent la circulation des machines et s’installent sur 20 % environ de la parcelle.

La surface circulée et impactée par les engins dépend de l’entraxe choisi (les cloisonnements étant de 4 m de large). La surface productive est ainsi occupée de 16 à 25 % par les cloisonnements 6, selon la largeur de l’entraxe (écartement entre deux cloisonnements). Mais cela remet-il en question les volumes d’exploitation appliqués à la surface totale de la parcelle?

Par ailleurs cette gestion s’installant sur le bassin versant boisé (sols lessivés sur formation sableuse ou argileuse sur les pentes, sols podzolisés et podzols sur les pentes sableuses 7 est-elle vraiment en phase avec le risque majeur de crue et d’inondation qui a amené à une requalification des digues en barrage ?

La diminution des écoulements augmente avec l’âge du peuplement 8, un rajeunissement de la forêt sur les bassins versants alimentant les étangs est-il dans ce cas souhaitable ?

Les forêts naturelles diminuent le ruissellement superficiel et l’abondant réseau de racines permet à l’eau de pénétrer très profondément dans le sol. Le feuillage vert, la couverture de feuilles mortes et l’accumulation d’humus retardent l’écoulement des eaux de pluies et agissent comme une éponge en restituant l’eau goutte à goutte. Le débit de pointe est ainsi réduit en cas de fortes pluies, sans toutefois modifier le volume total écoulé.

la régulation hydrique par les forêts est meilleure quand on ne coupe pas les arbres ayant un riche complexe racinaire

La restauration et l’entretien du système de drainage mis en place au XVIIe siècle pourrait largement être remis en cause et repensés dans le contexte actuel 9 .

Afin de prévenir les crues et inondations futures, une charte d’engagement en faveur des zones d’expansion des crues du bassin Seine-Normandie a été signée le 27 février 2020 entre le Grand Paris et les Chambres 10. Elle autorise l’indemnisation des agriculteurs qui permettront d’éviter que la métropole parisienne soit sous l’eau en stockant volontairement et temporairement les eaux de crues, grâce à la mise en place ou la modification d’aménagements hydrauliques (permettant la sur-inondation) dans le cadre de projets concertés à l’échelle d’un bassin versant 11.

Cependant un sol forestier sain est capable de retenir l’eau pour l’alimentation des arbres mais aussi pour limiter les phénomènes de crues 12. L’ONF peut proposer dans le cadre de la prévention des crues et inondations 13 une gestion adaptée, mais la question du financement reste posée … Associer la traction animale à l’exploitation actuelle permettrait de préserver l’environnement. Le cheval débusquant les bois a un impact quasi nul sur la régénération et sur le peuplement 14.

Les plans de prévention des risques inondation (PPRI) 15 de la DRIEE Île-de-France ne semblent pas prendre en compte le rôle de la forêt dans la gestion de l’eau. Les politiques publiques à travers les institutions ou les actions de gestion de l’eau et de la forêt, se devraient de travailler en parfaite cohésion, nous déplorons vivement ce manquement.

Réduction des mesures en faveur de la biodiversité

Par ailleurs, la fonction écologique de protection de la biodiversité justifiée par la présence d’une ZNIEFF 16 ne semble plus prise en compte.

La révision de l’aménagement forestier 2005-2024 précise que les îlots de vieux bois représentent 52,46 ha soit 8% de la surface totale de la forêt, ils font partie des dispositions en faveur du maintien de la biodiversité.

Mais lors du comité de forêt de 2017 a été annoncé la réduction de la surface des îlots de vieillissement, avec suppression de 31,46 ha affecté aux îlots de vieux bois. Cette mesure initialement appliquée sur 8 % de la surface totale de la forêt se voit réduite à 3 %.

D’après le document de l’Office National des Forêts (ONF) Création d’îlots de vieux bois en forêt de Rambouillet 17 : « Si nous ne sommes pas certains que des îlots de vieux bois apportent à la sauvegarde de la biodiversité les réponses idéales, nous sommes sûrs que l’absence de ce dispositif se traduira par des pertes importantes. »

Les îlots de vieillissement sont des peuplements adultes dont le cycle sylvicole est prolongé jusqu’à deux fois l’âge d’exploitabilité prévu, ils offrent une production de bois de qualité et de forte dimension. Outre cet intérêt économique, ils favorisent l’apparition de micro-habitats, offrent un intérêt paysager, permettent un suivi dendrométrique pour évaluer l’évolution de la production, sont un refuge pour les prédateurs des ravageurs, ont un rôle éducatif, …

Il est à noter que doubler l’âge d’exploitabilité est loin de permettre à l’arbre d’atteindre la maturité écologique optimale de développement de bois mort qui permet l’habitat et la nourriture pour certaines espèces. Cela interdit la conservation d’arbres remarquables ou « arbres présidents » en forêt domaniale.

De plus, un rapport récent « Gestion forestière et changement climatique » 18 propose une nouvelle approche de la stratégie nationale d’atténuation et montre qu’il est essentiel de laisser vieillir les forêts pour atténuer le changement climatique. Ces nouvelles études remettent en cause dans notre cas les arguments du Ceser d’Île-de-France pour un rajeunissement de la forêt et des replantations 19

La fonction sociale maltraitée

Forte indignation de la population exprimée par les inscriptions sur les grumes et confirmée dans notre enquête auprès des promeneurs

Par ailleurs, la politique ambitieuse de la Région Île-de-France en faveur de la filière forêt-bois 20 ouvre des perspectives économiques et de nombreux débouchés tant en bois d’œuvre qu’en bois énergie, mais nous estimons la fonction sociale prioritaire dans le contexte très urbanisé du Grand Paris, encore appelé à se densifier dans les années à venir.

Une coupe sévère en pied d’immeuble en forêt de Fausses-Reposes sur la commune de Ville d’Avray dans les Hauts-de-Seine avait abouti en 2016 au lancement d’une pétition sur change.org « Pour la sauvegarde des forêts domaniales du Grand Paris » 21, laquelle recueillit quelques 40 000 signatures, montrant les limites de l’acceptabilité sociale de certaines coupes.

A qui profite l’exclusivité à se focaliser sur les risques de crues des étangs de Corot consécutives à l’état des digues quand une forêt en amont bien structurée dans son paysage reste autrement plus judicieuse pour soutenir des fonctions de régulations hydriques et termiques qui ont été éludées par un manquement d’études globales ?

fond de l’étang de Corot en 2019 – Ville d’Avray

Même fond d’étang en 2020 à J-3 le confinement.

Au nom de quoi se donne-t-on le droit d’omettre que les arbres sont scientifiquement reconnus comme des climatiseurs naturels au prorata de leur maturité et du degré de stratification des houppiers dans une futaies mélangée sur la graduation la plus large des âges ? Les canicules sont-elles donc bien moins à craindre que les crues et voulons-nous un climat encore plus dur en Ile-de-France ?

Au nom de quoi se donne-t-on le droit de mépriser les vertus régénératives reconnues par la sylvothérapie des stades matures de forêts et des arbres pour la santé physique et mentale des êtres humains ? Les forêts sont-elles seulement des territoires de compensation urbaines où suffit la verdure appauvrie ?

Devant les générations futures, de quel droit décidons nous de dévaloriser les paysages en empêchant les stades matures de forêt ? N’omettons pas qu’une forêt sans arbres au-delà de l’âge d’exploitabilité est juste un boisement fonctionnel sans profondeur. Quand on donne le droit à un arbre d’exister au-delà de l’âge d’exploitatibilité, cela procure consciemment ou inconsciemment une sensation de détente dans un environnement économique et humain très oppressant dans le profit à tout crin.

Nous déplorons déjà très vivement une décision acculturée concernant la conservation d’un site paysager et le design des aménagements prévus pour les étangs de Corot sans compatibilité avec la notoriété du site associé à l’image d’un peintre mondialement connu.

A une époque où les citadins ne voudront plus être confinés dans de l’urbanisme concentrationnaire et que nous allons assister à l’échec du Grand Paris est-il intelligent de dévaloriser les forêts péri-urbaines quand tout le monde voudra se sentir retrouver des espaces non-humains qui aient préservé leur profondeur réelle ?

Pour toutes ces raisons et d’autres non énumérées, il est temps de ne plus marcher à l’envers en ne sachant pas ce que l’on fait…

En conclusion, nous proposons pour la forêt de Fausses-Reposes :

– une sylviculture douce associant machine et traction animale (voire avec dirigeable22 à bon escient) afin de préserver les sols et la santé des peuplements, tout en contribuant à réduire le débit de pointe des eaux pluviales sur les bassins versants alimentant les étangs de Corot,

– une gestion préservant la biodiversité avec le maintien de la surface de 8 % d’îlots de vieillissement, participant également à la prévention des crues et inondations, à l’atténuation des effets du changement climatique et au maintien de la qualité paysagère,

– une reconnaissance des services écosystémiques rendu par la forêt, notamment en matière de gestion de l’eau, par un paiement pour services environnementaux (PSE) donnant les moyens financiers à l’ONF d’adopter une gestion de prévention des risques naturels, équilibrant naturellement fonctions sociales, écologique et économique,

– nous demandons qu’un pourcentage d’arbres soient maintenus au-delà de l’âge d’exploitabilité pour que toute la pyramide des âges soit représentée parmi les arbres, et que nous évitions qu’il y ait un trou générationnel faisant que demain nos descendants n’auront plus d’arbres remarquables dans cette forêt. Nous demandons que des arbres soient classés et conservés au titre d’ « arbres présidents ».

– la prise en compte de la fonction sociale prioritaire dans cette forêt urbaine du Grand Paris

Catherine Bort,  Forêt Citoyenne

Photographies de Bernard Boisson, président de Forêt Citoyenne, membre des JNE.

Solastalgie et forêts

La gestion des arbres et des forêts :

Et si on revoyait le sujet à la lumière solastalgie ?

Parmi les raisons d’avoir été fondée, l’association Forêt Citoyenne entend donner à la société civile des moyens distincts des argumentaires scientifico-naturalistes et écologistes pour réhabiliter et initier dans la fonction sociale des forêts des rapports humains/nature restaurant notre sensibilité en synergie avec la préservation des écosystèmes forestiers et la maturité des arbres. Car notre association n’est pas naïve. Elle sait qu’on ne peut juguler la dégradation de la nature avec des sensibilités humaines dégradées. Aussi importe-t-il de rétablir cette connexion pour impulser la boucle vertueuse de restauration sans aucune négligence devant des sujets médiatiquement plus hypnotiques comme les changements climatiques…

Aussi et à ce titre, elle ne pouvait pas être indifférente à la traduction française toute fraiche du livre du philosophe australien Glenn Albrecht « les émotions de la terre, des nouveaux mots pour un nouveau monde » aux éditions LLL (les liens qui libèrent). Glenn Albrecht est désormais internationalement connu comme l’initiateur du concept de solastalgie. Constatant le dévoiement des mots développement durable, résilience… dans les sphères industrielles et politiques et constatant que nous ne pouvons lever l’énergie d’une société sans vocabulaire qui identifie avec exactitude les émotions et les souffrances des peuples affectés par la destruction de leur milieu de vie, Glenn Albrecht est devenu un producteur de néologismes, et ça marche… Car en effet si nous sommes pourvus de vocabulaire psy pour diagnostiquer les pathologies mentales affectant les vies personnelles, les sciences humaines et sociales ont laissé un espace déficitaire en vocabulaire-pour diagnostiquer les souffrances des sociétés liées à la dégradation des milieux de vie. Or un mot consensuel pour cadrer un diagnostic est la première étape pour s’entendre vers un protocole de guérison à mettre en œuvre.

Tout a commencé en Australie dans la Nouvelle-Galles. La vallée du Hunter était initialement un sanctuaire de nature remarquable avec des restes de forêts pluviales peuplées de cèdres rouges, des landes et des marais. Toutefois, elle s’est vue dévastée sur des surfaces considérables par l’industrie minière du charbon éventrant à ciel ouvert les reliefs, élargissant son périmètre de déblais, de poussières et de nuisances sonores diurnes et nocturnes. Glenn Albrecht accompagne l’état moral des populations riveraines et finit par avancer le terme de solastalgie. A l’évidence le mot nostalgie ne pouvait pas convenir à ce mal chronique affectant ces populations car il suppose un spleen en regard d’un lieu que l’on a quitté. Or, ici personne n’a bougé. C’est le lieu qui a quitté les gens par le forcing d’une activité industrielle dévastant le paysage d’une population. Nous avons conscience que tant que la blessure sensible d’une société n’est pas identifiée par un mot cernant avec exactitude l’état de la souffrance, alors l’impunité d’une exploitation peut étendre sa violence allant jusqu’à culpabiliser toute action de se plaindre. La solastalgie n’a rien à voir avec un vague à l’âme dans le flou de sa cause. C’est un grief existentiel, cru et Terrien, un retour direct sur soi de la dévastation du milieu de vie. Il va jusqu’à déstabiliser la raison d’être, et trouble l’identité les résidents initiaux du lieu dévasté. A ce titre une population colon semble essuyer un choc psychologique dans le même crescendo de continuité qu’une population aborigène antérieure lors de la venue des européens.

Mais ce qui est cause de solastalgie chez les êtres humains ne provient pas toujours des actions directes de destruction paysagère inhérentes aux activités industrielles, mais trouve aussi ses origines dans les sécheresses, les incendies et les inondations relevant de responsabilités humaines indirectes.

Glenn Albrecht énonce le concept de solastalgie depuis 2003 et voit son terme de plus en plus repris dans le monde pour diagnostiquer des griefs équivalents dans les rapports humains/nature, cela pour de multiples affaires environnementales quel que soit leur degré de gravité. Nous ne sommes pas sans penser que nous retrouvons également sous le terme de solastalgie, l’abattement moral à vivre dans nos forêts des coupes rases massives ou des arbres urbains abusivement abattus qui plus est, initiés par des instances décisionnelles intempestives et déconnectées. Je me souviens d’un interview de Glenn Albrecht évoquant que la solastalgie que nous pouvons vivre devant ces griefs sporadiques en dévastation paysagère auront tout lieu d’être sublimés par la sidération que nous viendrons à vivre sous des évènements majeurs de changements climatiques. J’ai lu cet article à peine deux mois avant les grands incendies d’Australie éradiquant un milliard d’animaux et rayant de la carte l’équivalent en surface forestière de la Région Aquitaine sans compter les feux de brousse multipliant plus encore les surfaces calcinées.

Il va de soi que je me suis demandé ce que pouvait rapporter en témoignage un tel homme après de tels évènements. La réponse nous a été donnée dans sa conférence de presse à Paris chez son éditeur début mars 2020 :

Les australiens dormaient depuis très longtemps étant très durs à réveiller comme le koala dans la journée. Les feux ont été un coup mental énorme pour eux. Ce que nous avions pris pour acquis à disparu. On a vu des paysages qui ne s’en remettrons jamais. Cela a affecté des gens qui n’ont jamais été au fond d’eux-mêmes de véritables écolos mais qui aimaient ces endroits pour y passer des vacances. Ils regardaient même s’ils ne comprenaient pas, mais maintenant tout est brûlé. Ils chantent la chanson de Joni Mitchell du grand taxi jaune «… ne laisser pas partir ce que vous n’avez pas encore compris ».

Un auteur comme Glenn Albrecht ne peut soulever un sujet aussi grave sans développer la vision antidote. Sa volonté à ne pas jouer les sirènes catastrophiste est farouche. Il souhaite que son mot solalstalgie sorte de notre langage en 2100 sous l’effet d’une humanité se délivrant de ses forces obscures. Reprenant le terme d’anthropocène pour dénommer l’époque actuelle de l’humanité très dévastatrice en milieux naturels, il voit sur la base d’un choc en retour des nécessités, l’avènement d’une période ultérieure : le symbiocène, une époque des rapports symbiotiques humain/nature. Il se charge désormais de fouiller en profondeur cette perspective, nous invitant à hâter notre conversion.

Concernant la dévastation massive par les incendies récents, Glenn Albrecht ajoute :

On ne peut pas en revenir et rester dans le déni. Le peuple australien est passé au-delà des politiciens. Il y a une prise de conscience que les politiciens de la gauche et de la droite sont captifs des intérêts des énergies fossiles. Nos politiciens ne gouvernent pas. Ils sont gouvernés… Les gens entrevoient que l’avenir peut réserver des incendies encore pires… On commence en plus à perdre la grande barrière de corail. Nos réserves en eau s’assèchent. Les rivières ne coulent plus. Bientôt nous allons migrer en France. On a besoin d’endroits tempérés et humides et la France, ça à l’air d’être pas mal pour ça…

Aussi si nous comprenons que les français n’ont pas de koalas qui dorment en leurs branches, il faudra s’affranchir de cette métaphore pour nous réveiller quand même. En retour, les journalistes expriment ici à l’interviewé leur sentiment d’être sursitaires sur la liste pour on ne sait quel événement. Evidemment Glenn Albrecht n’en doute pas, nous voyant tous sur le même bateau.

Bernard Boisson

 

Voir aussi la parution de  l’article « Glenn Albrecht, philosophe du mal de nature et symbiologue » dans la revue 3e Millénaire – N°138 – décembre 2020

Des arbres ressuscités au cimetière ?

La municipalité de Boulogne-Billancourt projette d’abattre 435 platanes au cimetière Pierre Grenier.

Cet événement fait scandale par le fait d’avoir déclaré ces arbres malades du chancre coloré. Or cette affirmation a été démentie par l’expertise de Louis Vallin, également vice-président de notre association Forêt Citoyenne. Cette expertise est au demeurant validée par la DRIAAF.

Les platanes des places méridionales reconnus pour constituer des havres de fraîcheur seront particulièrement appréciés pour rendre plus supportable le réchauffement climatique en Île-de-France. Alors que maints professionnels cherchent à privilégier la plantation des essences qui pourront le mieux supporter le changement climatique, c’est un total non-sens d’abattre celles déjà aptes et en place à un stade mature. C’est un grave non-sens d’abattre des arbres sains à l’écart de la propagation de la maladie sans que nous puissions prévoir les autres essences qui demain seront à leur tour malades.

 

L’ensemble arboré du cimetière Pierre Grenier constitue une station d’épuration de l’air et un climatiseur non énergivore faisant partie des aménités de la nature urbaine qu’aucune replantation ne saurait suppléer avant plusieurs décennies comme le mentionne  une pétition locale. En temps de canicule, les espaces urbains sans arbres matures condensent la chaleur par réverbération sur le bitume et les édifices de pierre. Aussi cela amènera à déprécier fortement une ville comme Boulogne-Billancourt déjà sur-urbanisée et appauvrie en espaces verts. Les franciliens ont besoin de vivre dans des lieux de vie, et la perte des stades matures dans la végétation transformera très rapidement les villes en viviers de mal-être, si on ne coupe pas court à ce genre de décision. Les crottes de pigeon semblent à l’origine de la volonté  de supprimer ces arbres. Aussi le grief induit par leur abattage serait pire que les dommages justifiant l’intention. Dès lors, est demandé à la municipalité de bien relativiser les conséquences et annuler son projet.

La volonté d’abattre des platanes apparaît relever d’une mentalité incroyablement anachronique par rapport à notre époque. L’association Environnement92 via sa présidente Irène Nenner expose les faits déplorant l’arbre traité comme du « mobilier végétal ». La dépréciation de présence de l’arbre amène à perdre toute conscience du rôle systémique du végétal dans un milieu urbain déjà trop densifié. Quand la perte de sensibilité  (si ce n’est de b-à-ba dans le sens contemplatif ! ) est installée, cela oblige à recourir à des analyses sur l’écologie des systèmes autant qu’un pouvoir décisionnel se retrouve infléchi par des pressions d’intérêts qui n’ont d’égal que l’ignorance ou le déni pour exister.

Présidente d'Environnement 92, Irène Nener expose les faits

Les mauvaises décisions ne reposent pas seulement sur un manque de connaissances, mais sur un manque d’idées dans les solutions, et par un manque de vitalité à les chercher. Cela pose la question d’un ostracisme particulièrement inquiétant dans les mentalités. Dans un urbanisme sur-densifié, les cimetières deviennent des espaces importants dans la compensation écosystémique. Il serait vivement souhaitable de retourner l’annonce d’une bourde par une réflexion plus mature et créative en solutions avec les associations et les professionnels choqués.

On entend dire « le département des Hauts-de-Seine comme étant le plus riche d’Europe », ou comme ayant « un budget équivalent à un pays comme la Grèce ». Cela ne pose pas de problème à trouver 5 millions pour abattre sans réfléchir des arbres quand les budgets à la culture et à la prospective dévoués à un avenir plus sensible et plus intelligent sont tragiquement asséchés. Or la culture et la prospective judicieusement soutenues sont gardiennes de la cohésion et de la maturation entre les lieux de vie et les habitants. Sous pression abusive de la bétonisation et de l’abattage inconsidéré d’arbres, nous forçons les franciliens à s’enraciner dans des lieux déracinés. D’où le danger croissant de voir la population francilienne exploser comme une supernova et vouloir migrer vers des lieux plus vivables et moins outrageusement spéculés, ce qui prendra à revers toute l’économie de l’immobilier et des aménagements et se traduira par de grands désordres financiers outre les vrais sujets « écologiques » dont on semble faire fi… Nous sommes dans des années cruciales où nous n’avons surtout pas le droit de nous tromper dans les décisions. Notre génération est exposée à des responsabilités politiques outrepassant les mentalités partisanes…

Président de Forêt Citoyenne

Bernard Boisson

Pour en savoir plus et exprimer votre désaccord vous avez accès à la pétition

En cliquant sur l’image ci-dessous vous avez accès à notre vidéo témoignant en particulier de l’appui de Georges Feterman, président de l’association A.R.B.R.E.S avec Louis Vallin vice-président de notre association :

Remerciements à toutes les associations actives à l’évènement dont Boulogne-Environnement, le GNSA, LPO

 

L’information a été relayée par le 20h de France 2, le lundi 2 mars 2020 en fin de journal

 

Manifestation à Clamart pour sa forêt- juin 2019

A l’époque où l’on préconise de développer des trames vertes dans le milieu urbain,  les clamartois apprennent le projet d’une « trame grise » plus large encore dans leur forêt !

Aussi, le samedi  29 juin 2019,  ont-ils manifesté leur opposition à un élargissement de voirie dans le bois de Clamart faisant lui-même partie de la forêt de Meudon. Cet élargissement vise à entamer la forêt plus qu’ils ne le disent, compte-tenu du recul des accotements et des coupes d’arbres induites là où la route est déjà enclavée.

Voir sur YouTube notre reportage vidéo :

Ce mécontentement s’inscrit dans un malaise de plus en plus oppressant des franciliens à avoir le sentiment « d’être mis sous tutelle »  concernant le devenir de leur ville, des espaces verts et des forêts présentes sur leur territoire communal.

En effet certaines communes ne semblent plus gérées comme des villes mais comme des territoires de spéculation foncière livrés aux promoteurs au risque de permis de construire abusivement alloués… La volonté de  densification urbaine induit l’intention d’élargir les voiries sur les derniers espaces non habités, telle la forêt… Mais les habitants ne s’y retrouvent plus du tout et se sentent abusés.

On regrette très vivement l’absence de vision civilisatrice de ceux qui en décident et le trop d’intérêts du BTP prévalant sur les collectivités. On se prend d’envie de nos voisins d’Outre-Rhin ayant moins joué la carte de l’urbanisme concentrationnaire pour mieux optimiser la répartition villes/campagne, si ce n’est la répartition ville/forêt, tandis qu’ils ont de surcroit des réserves naturelles forestières de taille surclassant de loin celles en France pour une population plus nombreuse !

Clamart (Haut-de-Seine)

 

 

 

Déclaration de Forêt Citoyenne – juin 2019

Texte présenté dans le Cahier d’acteur SCOT Métropole Grand Paris :

L’association Forêt Citoyenne vise à sensibiliser, réévaluer, réhabiliter, les forêts, les arbres urbains et ruraux, le bocage, et tous autres ensembles arborés… en tant que paysages et présences vivantes qui, outre toutes valeurs écologiques, détiennent également des influences avérées sur la santé physique, psychique et mentale des êtres humains. De même, au travers de “la fonction sociale” de la forêt et des arbres, il s’agit de revisiter toutes les dimensions des rapports humain/nature propices à l’éveil sensible, au déconditionnement psychologique de sorte d’approfondir l’harmonie entre les ensembles humains et les milieux naturels.
Cette association entend ainsi pourvoir au déficit de représentativité publique et professionnelle dans les décisions de gestions territoriales, à toutes les échelles, concernant les influences des arbres et de la forêt sur les vies humaines, par-delà les seules fonctions récréative, décorative, et compensatrice, des espaces verts et de la verdure. En ce sens, elle vise à ce que l’on ne bride pas les générations futures par des paysages dégradés ou appauvris, en particulier concernant la maturité des arbres et des forêts.
L’association entend favoriser une prise de conscience interdisciplinaire et une juridiction adéquate concernant la gestion des arbres et des forêts dans une cohésion vitalisante du rapport humain/nature et de l’éveil des sensibilités.

Elle souhaite aboutir à une représentativité institutionnelle et professionnelle, dont l’éthique ne sera assujettie à aucun intérêt, concernant les causes qu’elle défend.

La valeur poétique

Nous assistons actuellement à une pression inédite, depuis la seconde guerre mondiale, de coupes sur nos forêts françaises complètement à rebours d’une montée des consciences entrevoyant la fonction sociale bien au-delà de sa seule fonction récréative (sylvothérapie, arts, etc…).
L’espérance de vie de l’arbre en sylviculture descend de plus en plus en dessous de l’espérance de vie humaine, désagrégeant ainsi la valeur de tout sentiment d’immersion en forêt.

Entamer abusivement l’âge des arbres dans les forêts et les espaces urbains contrevient assurément à la valeur poétique des lieux. Parler de valeur poétique (et non esthétique) semble aujourd’hui terriblement suranné devant les intérêts mercantiles. Pourtant elle est inextricablement liée à nos sentiments d’enracinements qui, lorsqu’ils sont entamés, affectent consciemment ou inconsciemment le bien-être de tous.

L’intelligence

A une époque où l’on parle de plus en plus de « l’intelligence des arbres », les citoyens se demandent s’il y a bien « une intelligence de la sylviculture »  qui lui corresponde … La manière de penser l’avenir de nos forêts et de nos espaces arborés urbains est-elle à l’envers des éveils de conscience dans d’autres pays ? Cette question inquiète vivement quand de tels paysages sont impactés à l’échelle des décennies et des siècles.

La sécurité ?

Les arguments de sécurité avancés face à la contestation des riverains des forêts ne sont-ils pas plutôt des profits déguisés ? (coupes sanitaires profitant au bois-énergie, aménagements profitant au BTP…). Le public demande pour le moins des garanties impartiales et une présence participative aux décisions dépassant le niveau d’une consultation formelle dépourvue de suite. Culpabiliser une opinion publique ou l’ignorer en l’accusant de contrevenir à une décision mettant en cause la sécurité sur la base d’arguments abusifs instaure un climat manipulatoire amplifiant les suspicions. Aussi, nous demandons un arbitrage de bienveillance, une transparence, et des expertises garantes de leur désintéressement.

La multifonctionalité

Il est à rappeler que la multifonctionnalité d’une forêt fait que sa valeur patrimoniale est bien supérieure à la valeur de son capital. Une spéculation foncière amenant à préempter de plus en plus sur les espaces verts rendra l’Île-de-France beaucoup moins attractive. L’hyper-fonctionnalité urbaine s’installant au détriment d’espaces verts naturels non-fonctionnels pourtant perçus comme plus relaxants par les citadins (lignes de tramway et voiries en forêt, parkings, multiplication ostentatoire des aménagements…). La densification urbaine en cours promet une intensification du trafic pour un quota d’espaces verts insuffisants. La pollution s’avère déjà manifeste sur la santé et nous perdons l’équilibre favorable à la régulation.

Régulation internationale

Nous nous inquiétons très vivement qu’une dérégulation internationale du marché du bois conduise un organisme comme l’ONF à brader la forêt française pour subvenir à l’équilibre de ses comptes, et que les fonctions écologiques et sociales de nos forêts s’en trouvent sacrifiées. La forêt française semble s’acheminer désormais vers son propre déclin qualitatif, faisant que demain son patrimoine paysager descende de plus en plus au seul niveau du capital-bois. N’oublions pas que si le capital bois est une valeur économique directe intéressant uniquement son producteur, le patrimoine forestier donne à une Région une valeur économique dérivée moins facile à cerner par les chiffres, mais bien réelle ! Aussi, nous demandons que la régulation internationale du marché du bois soit une exigence réclamée à tous les échelons décisionnels, des communes, aux Régions, en passant inévitablement par l’Europe, pour atteindre les traités commerciaux internationaux.

Forêts urbaines

Nous atteignons dans la proche couronne parisienne un niveau de densification urbaine outrepassant le seuil d’équilibre. Nous devrions dans les forêts intra-urbaines (et non plus « péri-urbaines ») préserver une constante de renouvellement de maturité des arbres paysagers en augmentant les âges plutôt que l’inverse.

Le grand blues

Il semble qu’aujourd’hui la gestion au niveau des élites soit trop dans une gestion de sergent et non point dans une vision de général. C’est-à-dire que trop d’actions prévalent sur la maturation. Partout le chef de chantier préempte la voix au civilisateur, et l’avenir de l’Île-de-France semble faire l’objet d’une grande ruade spéculative sans vision judicieuse du futur. Les citoyens veulent des lieux de vie, et on intensifie l’urbanisme-dortoir. Nous nous attendons à ce que la dévaluation qualitative du paysage francilien fasse l’objet d’une grande hémorragie démographique dans un avenir proche. Il va sans dire que la dégradation qualitative de nos forêts de proximité contribueront entre autres à ce grand blues.

Classement en forêt de protection
des forêts du Grand Paris

Pour conclure, nous demandons instamment le classement en forêt de protection au titre de l’article 411-1 du Code forestier des forêts urbaines du Grand Paris :

Forêt de Meudon

Bois de Saint Cucufa (Forêt de la Malmaison)

Forêt de Verrières

Bois de Vincennes

Forêt de Romainville

En effet, selon cet article « peuvent être classées comme forêts de protection, pour cause d’utilité publique après enquête publique, les bois et forêts situés à la périphérie des grandes agglomérations, ainsi que dans les zones où leur maintien s’impose, soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être des populations ».

Ce classement permet de figer le foncier et d’éviter le mitage et le morcellement progressif et irrépressible des espaces forestiers résultant des projets d’urbanisme et d’infrastructures de transport.

Reconnaître les services écosystémiques de ces forêts (captage de CO2 et de polluants, rôle pour le cycle de l’eau, lieu de quiétude et de ressourcement, refuge pour la nature, ….) est une nécessité.

Par ailleurs, les lisières des espaces boisés doivent être protégées. La limite de la bande de 50 m de protection de la lisière doit figurer sur le plan de zonage de tous les PLU afin de rendre cette mesure réglementaire effective.

Les chasseurs doivent-ils aussi contraindre les citoyens à ne pas aller en forêt ? Où est le juste arbitrage du gouvernement ?

Echos à la manifestation du samedi 13 octobre 2018 à Paris

Le samedi 13 octobre 2018, lors de la marche pour le climat, s’est déroulée une manifestation anti-chasse à Paris partant de la Place de la République. Dans la même journée, survient en Haute-Savoie (Montriond), le décès d’un VTTiste de nationalité britannique, victime d’un chasseur. Cet évènement est survenu dans le seul pays d’Europe (la France !) où la chasse est ouverte tous les jours de la semaine occasionnant 20 à 30 décès humains par an. Les pratiquants de la chasse ne représentent que 1,7% de la population française. Aussi est-il normal que le gouvernement leur alloue un surdroit très nettement abusif par rapport aux droits et demandes de la société civile non concernées par ces pratiques (98% !) ? N’est-ce pas d’ailleurs l’influence démesurée du lobby de la chasse sur le gouvernement qui a été la goutte d’eau ayant fait déborder le vase, en précipitant la démission de Nicolas Hulot ? Devrions-nous ne pas en être outrés ? Il va sans dire que cette indignation est cœur de toute la coalition associative ayant appuyé cette marche.

Si la presse a encore cette capacité d’alarmer des décès de chasse, pourquoi ne fait-elle pas entendre dans la même mesure les voix qui n’en veulent plus pour acter les décisions adéquates ? Initialement conduire une voiture ne tue pas. Chasser tue. Alors pourquoi moins de règles sécuritaires et autant d’abus de droits à la faveur des chasseurs ? Notamment, existe-t-il moins d’alcooliques chez les chasseurs que chez les conducteurs ?…

Que dire des provocations évidentes pour imposer sur autrui ses droits territoriaux, telle une battue menée sur un des sites les plus emblématiques de Fontainebleau en plein milieu d’un week-end à la veille du réveillon, devant des promeneurs interloqués ? Que dire des forêts privées dont on ferme les chemins au public 365 jours par an dans le seul but de satisfaire des intérêts épisodiques de chasse ? …

1.   Indépendance de la police de la chasse

2.   Interdiction de chasser les espèces en mauvais état de conservation

3.   Interdiction de chasser en périodes de reproduction

4.   Interdiction des pièges tuants

5.   Fin des chasses dites « traditionnelles » (glu, lèques, lacs, pentes, tendelles…)

6.   Abolition de la vènerie sous terre pour toutes les espèces

7.   Abolition de la chasse à courre pour toutes les espèces

8.   Abolition de la chasse dans les espaces protégés (Parcs Nationaux, Réserves naturelles, réserves biologiques)

9.   2 jours par semaine sans chasse ni piégeage (dont le dimanche) et l’intégralité des vacances scolaires

10.   Visite médicale annuelle obligatoire pour le permis de la chasse avec contrôle de la vue.

(mesures énoncées dans une pétition sur le site de One Voice)

Bernard Boisson

Biodiversité et culture : un thème à l’ordre du jour pour les 70 ans de l’UICN

Dans les propos qui suivent vous avez un compte-rendu partiel d’un évènement embrassant des thématiques très vastes, rédigé à la lumière de ce qui nous a percuté à partir de notre petit mirador de conscience que représente l’association Forêt Citoyenne Parfois nous corroborons ce compte-rendu à ce que notre cheminement nous a donné d’éprouver en dehors de ce cadre institutionnel – Que maints intervenants au micro nous excusent de ne pas les citer, comme leurs collègues. La multiplicité des sujets, et les débats touffus nous oblige à une itinérance dans un échantillonnage arbitraire.

Pour les deux journées du 30-31 août 2018, l’UICN (Union International de la Conservation de la Nature) a célébré ses 70 ans d’existence dans sa ville de naissance : Fontainebleau.

L’évènement a été particulièrement remarqué par notre association Forêt Citoyenne concernant son thème mis à l’honneur :

L’avenir des paysages, nouveaux rapports entre l’humain et la nature

l’UICN pour la biodiversité, tout comme le GIEC pour le climat, constituent dans les domaines spécifiquement écologiques, les deux seules grandes ONG internationales mettant directement en relation les experts scientifiques et les gouvernements. A ce titre, l’UICN, outre que d’être entrevu en tant que pôle d’expertises, se présente aussi comme un laboratoire d’idées pour favoriser un futur salutaire à notre planète.

Voir une institution internationale de la biodiversité appréhender les rapports humains/nature à travers leurs cultures et les paysages, confirme une reconnaissance à prendre en compte cette cohésion pour faire perdurer la conservation de la nature au fil des générations. Effectivement cette prise en compte nous apparait majeure, bien qu’elle ait été moins entendue.

Cet élargissement de la conscience amenant des scientifiques de la biodiversité a prendre de plus en plus en compte la culture paysagère, parait se justifier par la question de Pascal Canfin (directeur du WWF-France) intervenu en fin de colloque : Pourquoi réussirait-on demain, ce que l’on a pas réussi hier ?

A un autre moment, dans un tour de micro adressé à la salle surviennent ces propos : « la planète est prise en otage entre les citadins et les bureaucrates. Dame nature n’a pas moyen de pleurer, de montrer ses larmes…Les hommes sont devenus des transhumants, des citadins-objet… « , ce langage direct très remarqué, imagé, sans extrapolation analytique, de la part d’un intervenant africain, est particulièrement révélateur du décalage entre des peuples autochtones séculairement en osmose avec leurs paysages, alors qu’ils s’entendent des recommandations écologiques très technocratiques venant d’un monde qui s’est autrement plus coupé de la nature qu’eux-mêmes.

Une grande instance comme l’UICN se déclare avisée de cette situation, au point de poser ce colloque…

Par l’intervention de Lazare Eloundrou-Assomo, directeur adjoint du Patrimoine de l’UNESCO, nous est présentée l’inclusion du patrimoine naturel dans le patrimoine historique des cultures et des civilisations. Cette inclusion, survenue après la préservation du patrimoine strictement humain, a instauré en 1992 la notion de « paysages culturels » . Trois organisations consultatives (UICN, ISOS, ICOMOS) sont impliquées pour les estimer, prenant de plus en plus en compte la façon des êtres humains d’interagir avec le paysage.

Eleanor Sterling, américaine, biologiste de formation, en interface entre l’UICN et le muséum d’histoire naturel américain, a travaillé sur la zone pacifique pour identifier des indicateurs bioculturels permettant d’évaluer le degré de connexion ou de déconnection d’une population à sa nature. Elle en a recensé 93. A titre d’exemple, parmi ce qui peut constituer un indicateur bioculturel : la propension des enfants à chanter devant les vaches. Tout au long de ces deux jours de colloque quand il est question de « culture », c’est certainement d’une culture incorporée dans des comportements empathiques et contemplatifs de l’humain avec sa nature de proximité qu’il est question, et bien moins de savoirs de bibliothèque tenus à distance des espaces naturels et des êtres vivants (y compris quand ils nous reviennent sur le terrain en recourant au smartphone !). C’est certainement tout le paradoxe de ce colloque de formuler très intellectuellement une culture dont on ne sent pas directement la vitalité dans ce débat, tellement elle demanderait d’autres formes d’expressions et de témoignages… Justement à Forêt Citoyenne, recourir à ces autres formes d’expressions pour connecter plus immédiatement les perceptions aux décisions, est au centre de nos désirs, et déjà manifestée créativement.

Notons aussi dans le questionnement à chercher ce qui nous tient en cohésion avec la nature l’intervention dans une session-atelier de Sean Southey ( président de la commission Education et Communication de l’UICN). Mettant à contribution la salle, il demande à chacun de se remémorer un moment de sa vie, où il aurait vécu « un coup de foudre » dans sa relation à la nature qui aurait par la suite modifié son comportement. Les réponses qui lui reviennent concernent souvent des témoignages vécus entre 6 et 8 ans. Persuadé que ce type d’expérience est déterminant dans l’instinct vital des êtres humains à préserver la nature, il cherche comment faciliter cet accès de conscience à très grande échelle pour les générations qui nous succèdent.

Dans le foisonnement hétéroclite de propos exprimés lors de cette rencontre, se recompose à l’esprit une convergence mettant en corrélation la dégradation des sols par une économie intensive, et la déconnection concomitante des professionnels et des populations face à toute culture paysagère traditionnelle, comme bien souvent face aux cultures écologiques alternatives. Cet angle de vue est entre autre relevé par Christophe Aubel (directeur de l’Agence Française pour la Biodiversité – une organisation ayant à peine deux ans). Pour lui, la notion de culture paysagère s’entend par : « ne pas être que technique, mais faire avec… ». Bernard Cressens, président du comité français de l’UICN rappelant qu’il était éleveur à ses débuts, relève « qu’en deux générations d’agriculteurs, on n’a plus de sol. Il ne reste que du sable. Ce n’est plus de l’agriculture, mais de l’industrie ». En Aparté, à Forêt Citoyenne, nous constatons que la gestion forestière reprend à son compte, tout particulièrement depuis le début des années 2000, les grandes erreurs préalables de l’agriculture concernant la dégradation des sols, cela d’autant que la sylviculture s’est formatée aux logiques économiques de l’agriculture industrielle. Et si aujourd’hui, le forestier est particulièrement mis en souffrance, c’est bien dans un déni porté à ses fondamentaux culturels accumulés au fil des siècles par son expérience.

« Ce sont les récoltes qui nous ont domestiqué, et pas l’inverse » (Yildiz Aumeeruddy-Thomas) : ici s’entend un autre propos sur un rapport culturel à la nature infusant les peuples, alors qu’une industrialisation de l’agriculture les en détourne gravement.

Toutefois, au fil du débat, on se demande si derrière le terme de biodiversité, une écologie jardinière n’est pas en passe de supplanter une écologie des écosystèmes en libre évolution ? Comment vivre en conjugaison les deux ? Pour nous à Forêt Citoyenne, une culture de la nature et des paysages fait sens dans sa maturation quand elle n’étouffe pas les repères fondamentaux d’une nature entièrement libre, s’appartenant à elle-seule, comme référentiel pour inspirer tous les paysages que nous transformons. En effet, que vivrons-nous entre une biodiversité jardinée et une biodiversité sauvage ? Vivrons nous une scission ou une complémentarité ? Vivrons nous une nouvelle forme d’ignorance du naturel par une biodiversité domestique ou au contraire, celle-ci approfondira-t-elle sa maturation par l’assimilation des dynamiques des écosystèmes tels qu’ils sont quand on ne les domestique pas ? A ce titre, les remarques de Bettina Laville (présidente du comité 21) apparaissent particulièrement judicieuses : « Le mot Biodiversité est scientifique. Ce mot qui est notre outil de pensée (ou à penser) n’est-il pas fait pour oublier le mot nature ? Ce remplacement technocratique reste un problème… » Ce qui est surtout frappant en France, c’est que cette remarque a déjà été relevée par tout un réseau de scientifiques naturalistes, de gestionnaires et de penseurs… (voir par exemple le colloque Naturalité à Chambéry en 2013). Aussi, s’il n’y avait pas dans notre pays autant de cloisonnement entre les réseaux, les évènements, et les personnes, nous serions certainement plus avancés en maturité collective sur les questions essentielles à l’instar de celle-ci…

Il est aussi frappant d’entendre toujours parler de « biodiversité » au singulier, non pas au pluriel. Dès lors cela ne conduit-il pas au silence une réflexion sur l’interrelation entre les écosystèmes ? Comment nos sociétés vont-elles par exemple arbitrer la biodiversité du monde pastoral et la biodiversité forestière ? Nous savons que soulever cette question mettra à nu bien des partis pris hâtifs qui peuvent même se révéler passionnels … Quoiqu’il en soit, tous ces débats sont très intéressants. Peut-être et surtout parce que le sujet reste plus grand que nous tous.

Avoir une culture distincte et conjointe aux sciences naturalistes pour approfondir une intimité de cohésion des peuples avec leurs paysages naturels est sans nulle doute à l’heure actuelle une des grandes urgences prioritaires. Autant pour des raisons humanistes que des raisons écologiques. Toutefois au même titre que dans les réserves de la biosphère, nous avons en zone centrale des réserves intégrales ceinturées par des paysages traditionnellement cultivés et accordés aux écosystèmes natifs du lieu, il nous semble capital d’avoir en zone cœur de notre culture occidentale, une culture du non-culturel comme diapason de tous nos agissements sur Terre. Inutile de dire qu’en France, les circuits de distribution culturelle, eux-mêmes abusivement inféodés à une productivité intensive, n’ont pas favorisé ce cœur de culture ! Ceux qui s’étaient consacrés à cette orientation, ô combien ont-ils eu à le vivre lourdement à leurs dépends, tant les budgets à la culture terrienne et à l’éducation naturaliste ont été asséchés dans les Régions, et les communes tandis que l’argent coule à flot dans le BTP pour des constructions faisant prévaloir des intérêts contrevenant aveuglément, non seulement à la prise en compte des lieux de vie, mais aussi à la régulation futures des flux… Si nombre d’actions culturelles survivent malgré tout, c’est le plus souvent au prix d’une disproportion remarquable dans un dévouement bénévole, et d’un exil par rapport aux grand courants d’intérêts professionnels. Mais dans la majorité des cas, là où l’argent est le carburant de l’action, il n’y a pas l’esprit que l’on souhaiterait.

Impossible dans les fonctionnements actuels de notre économie mondiale de soulever la question de la culture et de la préservation des paysages propices à la nature, sans soulever la façon dont circule l’argent. En premier lieu pour qu’il cesse de contrevenir, plus urgemment encore pour qu’il soutienne les initiatives antidotes.

La secrétaire d’Etat Brune Poirson, en remplacement inopiné de Nicolas Hulot venant tout juste de démissionner de ses fonctions de ministre, aborde le sujet. Elle dit que l’initiative du président de la République d’avoir lancé le One Planet Summit le 12 décembre 2017 est « de faire en sorte que la finance, les investissements privés et l’argent public soient dirigés vers des projets qui préservent la planète… Il faut que la finance soit inscrite dans le long terme, au service de l’environnement, et nous réfléchissons non seulement à des solutions, mais nous sommes déjà en train de mettre en œuvre des mesures concrètes… S’il vous plait, continuez, proposez, engagez vous, montrez nous où sont les innovations pour que nous puissions les identifier pour les faire passer à plus grande échelle, et surtout pour que nous puissions en finir avec un régime financier et un système capitaliste dépourvus de sens. Il nous faut redéfinir nos modes de production/consommation…pour les rediriger vers la préservation de la planète. C’est cela notre objectif fondamental car sinon l’humanité ne survivra pas.

Est souhaité à la faveur de la biodiversité, un évènement international aussi important que la COP 21 tenue à Paris en 2015, pour que la finance change sa conduite par rapport à la planète, à l’instar de ce qui lui est demandé pour le climat. Le futur congrès de l’UICN à Marseille en juin 2020 jouera-t-il cette carte ?

En guise d’exemple de ce que le monde de l’entreprise peut faire en appui de la biodiversité représentée par l’UICN est mentionné son partenariat expérimental avec la société Kering de sorte d’adapter les chaines de production, aux équilibres et à la diversité de la nature en amont.

Pascal Canfin (pour rappel : directeur du WWF) voit dans la bataille de la biodiversité qui se joue actuellement, cinq acteurs clé à prendre en compte :

_ les Etats

_ les collectivités locales

_ Les entreprises

_ les financiers privés

_ les agences locales de développement

On ne peut réussir dans les solutions, si déjà un seul de ces cinq type d’acteur fait défaut dans son implication. En regard de ces cinq acteurs, les citoyens, les scientifiques, et les ONG sont secondairement identifiés comme des groupes de pression par rapport au groupe des cinq détenant les commandes. A dire vrai, quand on se sent faire parti de l’un de ces groupes secondaires, on se sent en position de rabatteurs, comme dans une partie de chasse. Pour le dire avec une aimable diplomatie, ce n’est pas très jouissif pour les tempérament sensibles, éthiques, et créatifs d’être assignés à ce camp ! Cela ne guérit pas du sentiment d’être mis sous tutelle. N’y a-t-il pas un autre scénario à donner à la pièce de théâtre relevant moins de l’analyse écotechnocratique ?

Bernard Boisson

Film Le Temps des Forêts – Sortie en salle de cinéma à partir du 12 septembre 2018

Si à un niveau international, on parle de plus en plus de déforestation, en France le problème prépondérant est « la mal-forestation ». Nous pouvons dire que cette déclaration vient en préambule fort de toute une succession d’interviews de professionnels de la sylviculture et de la filière bois. Depuis le début des années 2000, le grand public a bien la sensation d’un accroissement des coupes rases, d’entassements de grumes, de chemins forestiers défoncés par les machines sylvicoles, tandis que des discours officiels lénifiants, renforcés par un silence anormal de la part des médias, insinuaient d’entrée de jeu un sentiment de culpabilité à tout observateur s’engageant à lancer l’alerte. En réalité « la mal-forestation » a beaucoup bénéficié du silence et de la désinformation. Quand le grand public découvre ce film, il se met enfin au parfum de la pièce de théâtre qui a fait le décors ! Dès lors, une sylviculture à l’âge dinosaurien du progrès lui est bien confirmée, de l’abatteuse aux scieries géantes, en passant par toutes les machines de débardage… Une sylviculture est sortie de l’échelle humaine, et de l’échelle écologique. Comment pourrait-il y avoir encore un amour de la forêt à ce niveau ? Une souffrance aussi profonde que pudique transparait en filigrane allant d’une deshumanisation d’un métier au saccage sans état d’âme des milieux forestiers. Des professionnels constatent eux-mêmes les inepties d’une gestion. Il semble à la fois que plus la puissance de la machine s’interpose entre la nature et l’humain, plus nous avons une distanciation entre la bureaucratie et le terrain, et plus les professionnels paraissent vidés de présence dans leurs rapports aux lieux et au vivant. Une abatteuse coute au bas mot 400 000 euros quand une tronçonneuse en coute environ 1500. Quand on veut rentabiliser du lourd, il n’y a plus le temps de sentir. Il faut faire le maximum d’heures pour amortir le coût de cette machine. Les forestiers du martelage, et les exploitants du bois restés à l’échelle de petites PME, attestent une lucidité plus profonde. S’instaure un combat entre David et Goliath, sans aucun affrontement. Simplement une sylviculture entre les pratiques traditionnelles et alternatives montre sa résistance sous le laminoir boulimique d’une sylviculture industrielle et dantesque, légitimée en ces termes par un intervenant : « c’est la guerre économique… ». A ceci prêt que nous sommes en droit de nous inquiéter vivement : la sélection très normative des grumes par des scieries géantes profilées pour des usages restreints à très grande échelle, induit un gaspillage écœurant de tout ce qui n’est pas à la norme dans les forêts. De surcroît, elle force toute sylviculture alternative à l’échelon artisanal à se recréer une autre filière bois adaptée quand une France forestière a rompu depuis longtemps avec l’économie circulaire..

C’est un film ostentatoire dans les analyses chiffrées, sans nomination des intervenants en sous-titrage, sans esthétique ou dramatisation appuyées. Cette sobriété marquante signe le style de la réalisation et renforce la force véridique des témoignages. Après le livre « la vie secrète des arbres » et le film « l’intelligence des arbres », ce documentaire vient en antithèse crue. Il faut vraiment la connaissance d’un sujet en recevant toutes ses contradictions pour que le public ouvre les yeux à 360°. Aussi ce film sera nécessaire à l’équilibrage de conscience de notre société.

Le film témoigne d’un écartèlement entre les logiques d’une sylviculture modérée respectant les équilibres et la régulation écologique des forêts et d’autres logiques imposées par le haut à la sylviculture actuelle. « Ces logiques viennent de l’industrie du pétrole, du plastique, et de la finance. A un moment donné, il faut s’apercevoir que ces deux logiques ne sont pas mariables« , comme le conclut l’ingénieur-forestier Gaétan Dubus.

Voir bande-annonce :

Bernard Boisson