La forêt à la rentrée parlementaire

Après les incendies de l’été, un séminaire parlementaire sur les forêts en septembre 

Le 21 septembre 2022 est ponctué par une rencontre marquante entre des professionnels de la filière-bois, des ONG, des journalistes, et le monde décisionnel de la politique. Tous relèvent la nécessité d’un changement de politique forestière nationale. D’une part face aux coupes rases perçues anachroniques dans un contexte de réchauffement climatique, d’autre part face aux subventions misant le bois-énergie au détriment d’une biodiversité déjà menacée.

Il s’agit d’un séminaire de rentrée parlementaire à Paris (Maison de la Chimie). Cette concertation synthétise des diagnostics de professionnels et énumère les contrepropositions de plusieurs partis impliqués par plusieurs députés dans une commission chargée de l’examen du dossier forêt. Celle-ci retransmise sur youtube, Forêt Citoyenne se contente de vous en communiquer le lien direct pour que vous puissiez en apprécier l’exacte teneur.  Vous entendrez les contrepropositions de ces partis en fin d’enregistrement. Mais notre article n’en sera pas le résumé journalistique. Il s’agit plutôt d’appréhender cet évènement sur le mode « méta » de l’éditorialiste qui prend le pouls de nos mentalités. Voire, je me permettrais même une forme d’analyse à caractère « écopsychologique » sur comment une prise de conscience est en voie de modeler les décisions de politique forestière en particulier, et de politique écologique en général. Ainsi cela pourra aider à présager le futur des forêts en nous explorant dans les fondements mêmes de nos motivations.

Une économie matrice de l’écologie, ou une écologie matrice de l’économie ?

On pourrait dire qu’avec les effets du changement climatique sur la forêt (incendies, crises sanitaires…), il y a dans les mesures que peuvent exprimer les partis politiques, une échelle de graduation dans « la transition écologique ». Celle-ci nous fait passer d’une économie matrice de l’écologie, à une écologie matrice de l’économie. Mais ne nous y trompons pas, ce qui pourrait être le plus à l’avant-garde dans une politique fondée sur une écologie matrice de l’économie trouve son carburant humain dans une vitalité fondée sur un changement de pragmatisme stigmatisé par une écoanxiété de plus en plus prégnante au niveau latent.

Ce qui fait l’innovation en politique forestière ne provient que trop rarement de l’inspiration des idées, et avant tout de la propension sélective à les écouter selon les inquiétudes et les peurs orientant l’attention de la conscience collective et des élites. Ces inclinations sont ensuite proprement rationalisées.

La valeur réelle de notre relation à la forêt à une époque où prévalent les craintes

La peur est la force qui a trop souvent été le carburant vital encadrant toutes les autres forces de la vitalité humaine jusqu’à s’envelopper dans la pensée positive et élégante d’une rationalité technocratique. Aussi la peur d’être perdant dans une compétitivité économique a été une puissance vitale autrement plus forte que l’amour de la nature et tout ce qui pourrait contribuer à l’épanouissement de la maturité humaine. C’était pourtant là, le moteur vital des consciences pionnières et visionnaires… Il y a donc tout lieu de penser que si nous vivons une bascule majeure en politique, en passant d’une économie matrice de l’écologie à une écologie matrice de l’économie, cela devrait s’effectuer, selon toute probabilité, par une bascule de peurs (entre « anxiété économique » et « écoanxiété »), et non par une maturation humaine réelle, aimante et généreuse. Cette remarque porte sa gravité, non pas sur des élu(e)s en première ligne du débat forestier mais sur comment tout un mouvement de lobbying arrivera à se développer dans leur suite en regard des mentalités ambiantes. C’est là un constat d’humilité et un défi à partager entre nous tous. Nous sommes encore loin de parvenir au fait qu’une société puisse mûrir psychologiquement comme le peut au mieux un individu. Cela peut nous faire redouter que nous allions jusqu’à un seuil où le changement climatique sera perçu comme un péril bien plus tangible dans notre vie immédiate que la faillite de notre entreprise, ou le fait de perdre ou de gagner une guerre. Je m’attends même dans ce basculement à une période terriblement incertaine et très tendue de chaos, où nous nous retrouverons dans une économie qui, pour emprunter au vocabulaire des assureurs, ne sera plus « économiquement réparable ». Nous ne pourrons plus pourvoir financièrement aux urgences écologiques et humaines en même temps que nous pourrons de moins en moins les fuir. Nous risquons-là un paroxysme de sidération. Il nous faudra très vraisemblablement inventer dans le crescendo de sidération des urgences un autre paradigme économique. Retenons de toutes ces considérations, à peine ébauchées, que toutes les solutions d’un futur viable appellent en nous désormais une profondeur humaine n’étant en rien conditionnée à la peur.

De gauche à droite : Chantal Jourdan (PS) ; Marie Pochon (EELV) ; Mathilde Panot (LFI) ; Annie Genevrard (Les républicains).  Quatre députées pour souligner une représentativité politique de la forêt très féminine… Peut-être un signe très encourageant si on pense que bien souvent les femmes savent mieux écouter que les hommes… Étaient également intervenants dans le staff des députés : Sandrine Le Feur (Renaissance) et Eric Coquerel intervenant au titre de président de la commission des finances à l’Assemblée Nationale.

Par quelle qualité de présence l’écologie forestière de demain sera-t-elle portée ?

A une heure, où je pourrais espérer enfin un changement dans le sens du vent, j’éprouve un sentiment trouble, ambigu, et ambivalent. Les personnes qui auront eu de tout temps une prédisposition pour une vocation assimilant l’écologie forestière auront certes connu ce temps où elles se sentaient très isolées, surtout en regard des politiques entrepreneuriales et nationales qui ont subordonné l’écologie à l’économie. Pourtant nous aurions dû avoir là, deux sciences de la régulation n’ayant de cesse de se corroborer dans une similarité de principes. Du moins, en aurait-il été ainsi, si l’écologie avait été matrice de l’économie…

Aujourd’hui, les précurseurs d’une conscience touchant à l’écologie forestière pourraient semble-t-il se réjouir de ne plus se sentir isolés. Néanmoins, ils peuvent se sentir recouverts. Au risque même d’éprouver un exil encore plus incisif dans le recouvrement que dans l’isolement. Certains observant ces faits, pourraient laconiquement penser que les personnes pionnières se retrouvent désormais recouvertes par les opportunistes ou simplement par de jeunes générations moins entravées, et que c’est là, une tendance inéluctable à tous changements. Mais s’arrêter sur ce genre de considération serait gravement médire de ce que des personnes pionnières ont donné de leur vie dans l’isolement. En réalité si le monde professionnel et la société civile se comprennent demain dans une gestion plus écologique des forêts, cela pourrait ne pas se vivre avec l’amour de la première heure, mais avec l’écoanxiété, voire avec toutes les angoisses de la dernière heure. Ainsi qualitativement, cela risque de ne plus être du tout la même qualité de présence que nous pourrions espérer vivre dans notre relation au Vivant.  Cela ressemble au scénario où nous en venons à aimer la forêt comme un(e) partenaire de couple ou un parent que nous commencerions à chérir en fin de vie, comme pour rattraper tous nos manquements quotidiens antérieurs alors que nous avions jusque-là vécu l’autre sans vraiment l’avoir vu. Un tel amour se réveillant par la peur de le perdre rejoindra-t-il l’amour d’avoir trouvé ce qui donne Vie à la vie dans nos premiers élans de découverte ? Il n’est pas assuré que le réflexe de la dernière heure donne aux nouvelles générations qui viennent, l’amour du Vivant tel qu’il est quand il déploie sa profondeur dans le temps long. C’est pourtant cela qu’il faudra qu’elles ne manquent pas, et qu’elles n’ignorent pas, pour ne pas manquer le souffle intérieur nourrissant leur ligne de vie…

Les peurs étiquetées « réchauffement climatique » et « effondrement de la biodiversité » ne donneront en politique que des panels de mesures. Mais pour aller au-delà des mesures, il faut aller au-delà de tout ce qui est anxiogène.

Les très vieux arbres en forêt ne sont pas que des socles de biodiversité, des puits de carbone, et des climatiseurs naturels hautement performants et estampillés par le doigt du scientifique qui les pointe.  A l’évidence ces caractéristiques sont juste des contrepoids d’argumentation couramment mis dans la balance des décisions pour qu’un arbre échappe à son destin de grume, où à celui de squatter dérangeant un projet immobilier ou un projet de voirie…

 Qui sommes-nous si les arbres ont une valeur à nos yeux uniquement parce que tel ou tel scientifique en a démontré la fonctionnalité écologique ?  Que valent nos politiques territoriales si elles ne se plient qu’à ce type d’argumentaire ? Les très vieux arbres constituent un exemple typique révélant le côté hémiplégique de notre mentalité écologique. Car en eux nos contemplations peuvent entendre tout à fait autre chose. Comme par exemple, un silence de présence outrepassant les lignées humaines sur plusieurs générations et sur plusieurs siècles… En effet, la présence d’un temps organique venu d’un passé plus profond et allant ver un futur plus lointain que notre temps passage humain semble raviver notre sensibilité dans une forme particulière de paix amoureuse. Mais pourquoi n’aurait-on jamais le droit de dire qu’on veut préserver un arbre seulement parce que c’est cette qualité de conscience qu’il ravive en nous ? Pourquoi cela passerait-il pour une attitude puérile devant des élus, des experts professionnels, des propriétaires… ? Pourquoi des riverains s’alarmant d’abattage d’arbres, de destructions de milieux naturels sentent qu’ils ne seront entendus que s’ils font uniquement du copié/collé d’argumentaires scientifico-naturalistes, taisant ceux qui ont motivé leur sensibilité ? Pourquoi sans cesse, cette mise sous tutelle du sensible par une raison d’emprunt ? A cause de cela, sans cesse l’écologie politique semble coupée de sa source première, et pour se lever semble prendre appui sur les béquilles de la connaissance scientifique.

Il manque à cet endroit un corpus institutionnel de connaissances qui assimile nos éveils sensibles reliés aux états de la nature, aux forêts, aux arbres, à tous les règnes… de sorte d’en protéger l’existence qui protège en retour notre relation avec eux jusqu’à accompagner notre développement en sensibilité comme en intelligence. S’il existait, 50 % des argumentaires écologiques proviendraient de ses connaissances, 50 % des autres argumentaires écologiques proviendraient des sciences naturalistes. Cela changerait encore toute la teneur de l’écologie politique qui s’ensuivrait.

La force de l’amour de la nature, c’est qu’il protège ce qu’il ignore et que des scientifiques découvriront plus tard, et que l’écologie politique intégrera bien plus tard encore. Mais notre gouvernance technocratique n’a pas la science du sensible pour comprendre cet amour et rappeler toute politique, toute économie, toute culture à ses fondements comme à sa source… Et pourtant ensemble ayons le culot de faire que cela puisse advenir…

Bernard Boisson

Remerciements de Forêt Citoyenne à l’association Canopée pour son implication dans cette rencontre.