La forêt de Fausses-Reposes est une forêt urbaine aux portes de Paris (à 5 km environ de la porte de Saint Cloud), classée en forêt de protection1 par décret en Conseil d’État le 23 août 2007, cette protection n’excluant pas l’exploitation du bois. Les coupes de rajeunissement sont présentées comme nécessaires à la pérennité de la forêt 2. Or l’existence de réserves biologiques intégrales (RBI) 3 et de forêts en libre évolution4 montre qu’une forêt peut survivre sans exploitation.
Les arbres remarquables disparaissent
Les grands arbres bordant les chemins, pour la plupart inscrits à l’inventaire départemental des arbres remarquables du Conseil général des Hauts-de-Seine disparaissent progressivement pour des raisons de mise en sécurité des promeneurs, le dépérissement d’un grand nombre d’arbres ayant été constaté. Cette décision semble aujourd’hui se faire systématiquement et brutalement, sans avis préalable ni concertation avec les associations et les usagers.
Ces arbres remarquables étaient 126 sur la seule commune de Ville d’Avray en 2014, combien en reste-t-il aujourd’hui ?
Le classement en forêt de protection du massif de Fausses-Reposes précise « la présence d’arbres remarquables confère à ce massif des qualités exceptionnelles. De telles essences forestières ont une incidence sur le climat car elles contribuent au maintien d’une humidité atmosphérique convenable et interviennent localement sur la circulation de l’air 5 ».
La durée de vie des arbres remarquables devrait être prolongée au maximum mais nous abattons le troisième âge des arbres ayant vraiment valeur d’arbres remarquables.
Les coupes sanitaires se multiplient
L’ONF a pris en 2017 la décision d’abandonner les coupes rases induites par la gestion en futaie régulière à l’échéance de 2024 mais le changement climatique fragilise actuellement les arbres et des problèmes phytosanitaires atteignent des massifs entiers.
Le choix s’offrant alors au gestionnaire est d’intervenir par prélèvement des arbres atteints avant dévalorisation du bois suivi de replantation, ou de laisser les dynamiques naturelles apporter des réponses spontanées de retour à l’équilibre sans intervenir (mutation génétique produisant des plants résistants, venue de prédateurs de ravageurs, …).
Il semble que la réponse actuelle soit de sortir beaucoup de bois dans un temps le plus court possible pour sauvegarder leur qualité.
Un risque d’inondation accru par l’exploitation industrielle
Des tonnes de bois s’accumulent au bord des chemins et les boisements s’éclaircissent de plus en plus. La mise en place d’une gestion en futaie irrégulière doit rendre les parcelles accessibles et exploitables par les entreprises forestières. Des voies de cloisonnement permettent la circulation des machines et s’installent sur 20 % environ de la parcelle.
La surface circulée et impactée par les engins dépend de l’entraxe choisi (les cloisonnements étant de 4 m de large). La surface productive est ainsi occupée de 16 à 25 % par les cloisonnements 6, selon la largeur de l’entraxe (écartement entre deux cloisonnements). Mais cela remet-il en question les volumes d’exploitation appliqués à la surface totale de la parcelle?
Par ailleurs cette gestion s’installant sur le bassin versant boisé (sols lessivés sur formation sableuse ou argileuse sur les pentes, sols podzolisés et podzols sur les pentes sableuses 7 est-elle vraiment en phase avec le risque majeur de crue et d’inondation qui a amené à une requalification des digues en barrage ?
La diminution des écoulements augmente avec l’âge du peuplement 8, un rajeunissement de la forêt sur les bassins versants alimentant les étangs est-il dans ce cas souhaitable ?
Les forêts naturelles diminuent le ruissellement superficiel et l’abondant réseau de racines permet à l’eau de pénétrer très profondément dans le sol. Le feuillage vert, la couverture de feuilles mortes et l’accumulation d’humus retardent l’écoulement des eaux de pluies et agissent comme une éponge en restituant l’eau goutte à goutte. Le débit de pointe est ainsi réduit en cas de fortes pluies, sans toutefois modifier le volume total écoulé.
La restauration et l’entretien du système de drainage mis en place au XVIIe siècle pourrait largement être remis en cause et repensés dans le contexte actuel 9 .
Afin de prévenir les crues et inondations futures, une charte d’engagement en faveur des zones d’expansion des crues du bassin Seine-Normandie a été signée le 27 février 2020 entre le Grand Paris et les Chambres 10. Elle autorise l’indemnisation des agriculteurs qui permettront d’éviter que la métropole parisienne soit sous l’eau en stockant volontairement et temporairement les eaux de crues, grâce à la mise en place ou la modification d’aménagements hydrauliques (permettant la sur-inondation) dans le cadre de projets concertés à l’échelle d’un bassin versant 11.
Cependant un sol forestier sain est capable de retenir l’eau pour l’alimentation des arbres mais aussi pour limiter les phénomènes de crues 12. L’ONF peut proposer dans le cadre de la prévention des crues et inondations 13 une gestion adaptée, mais la question du financement reste posée … Associer la traction animale à l’exploitation actuelle permettrait de préserver l’environnement. Le cheval débusquant les bois a un impact quasi nul sur la régénération et sur le peuplement 14.
Les plans de prévention des risques inondation (PPRI) 15 de la DRIEE Île-de-France ne semblent pas prendre en compte le rôle de la forêt dans la gestion de l’eau. Les politiques publiques à travers les institutions ou les actions de gestion de l’eau et de la forêt, se devraient de travailler en parfaite cohésion, nous déplorons vivement ce manquement.
Réduction des mesures en faveur de la biodiversité
Par ailleurs, la fonction écologique de protection de la biodiversité justifiée par la présence d’une ZNIEFF 16 ne semble plus prise en compte.
La révision de l’aménagement forestier 2005-2024 précise que les îlots de vieux bois représentent 52,46 ha soit 8% de la surface totale de la forêt, ils font partie des dispositions en faveur du maintien de la biodiversité.
Mais lors du comité de forêt de 2017 a été annoncé la réduction de la surface des îlots de vieillissement, avec suppression de 31,46 ha affecté aux îlots de vieux bois. Cette mesure initialement appliquée sur 8 % de la surface totale de la forêt se voit réduite à 3 %.
D’après le document de l’Office National des Forêts (ONF) Création d’îlots de vieux bois en forêt de Rambouillet 17 : « Si nous ne sommes pas certains que des îlots de vieux bois apportent à la sauvegarde de la biodiversité les réponses idéales, nous sommes sûrs que l’absence de ce dispositif se traduira par des pertes importantes. »
Les îlots de vieillissement sont des peuplements adultes dont le cycle sylvicole est prolongé jusqu’à deux fois l’âge d’exploitabilité prévu, ils offrent une production de bois de qualité et de forte dimension. Outre cet intérêt économique, ils favorisent l’apparition de micro-habitats, offrent un intérêt paysager, permettent un suivi dendrométrique pour évaluer l’évolution de la production, sont un refuge pour les prédateurs des ravageurs, ont un rôle éducatif, …
Il est à noter que doubler l’âge d’exploitabilité est loin de permettre à l’arbre d’atteindre la maturité écologique optimale de développement de bois mort qui permet l’habitat et la nourriture pour certaines espèces. Cela interdit la conservation d’arbres remarquables ou « arbres présidents » en forêt domaniale.
De plus, un rapport récent « Gestion forestière et changement climatique » 18 propose une nouvelle approche de la stratégie nationale d’atténuation et montre qu’il est essentiel de laisser vieillir les forêts pour atténuer le changement climatique. Ces nouvelles études remettent en cause dans notre cas les arguments du Ceser d’Île-de-France pour un rajeunissement de la forêt et des replantations 19
La fonction sociale maltraitée
Par ailleurs, la politique ambitieuse de la Région Île-de-France en faveur de la filière forêt-bois 20 ouvre des perspectives économiques et de nombreux débouchés tant en bois d’œuvre qu’en bois énergie, mais nous estimons la fonction sociale prioritaire dans le contexte très urbanisé du Grand Paris, encore appelé à se densifier dans les années à venir.
Une coupe sévère en pied d’immeuble en forêt de Fausses-Reposes sur la commune de Ville d’Avray dans les Hauts-de-Seine avait abouti en 2016 au lancement d’une pétition sur change.org « Pour la sauvegarde des forêts domaniales du Grand Paris » 21, laquelle recueillit quelques 40 000 signatures, montrant les limites de l’acceptabilité sociale de certaines coupes.
A qui profite l’exclusivité à se focaliser sur les risques de crues des étangs de Corot consécutives à l’état des digues quand une forêt en amont bien structurée dans son paysage reste autrement plus judicieuse pour soutenir des fonctions de régulations hydriques et termiques qui ont été éludées par un manquement d’études globales ?
Au nom de quoi se donne-t-on le droit d’omettre que les arbres sont scientifiquement reconnus comme des climatiseurs naturels au prorata de leur maturité et du degré de stratification des houppiers dans une futaies mélangée sur la graduation la plus large des âges ? Les canicules sont-elles donc bien moins à craindre que les crues et voulons-nous un climat encore plus dur en Ile-de-France ?
Au nom de quoi se donne-t-on le droit de mépriser les vertus régénératives reconnues par la sylvothérapie des stades matures de forêts et des arbres pour la santé physique et mentale des êtres humains ? Les forêts sont-elles seulement des territoires de compensation urbaines où suffit la verdure appauvrie ?
Devant les générations futures, de quel droit décidons nous de dévaloriser les paysages en empêchant les stades matures de forêt ? N’omettons pas qu’une forêt sans arbres au-delà de l’âge d’exploitabilité est juste un boisement fonctionnel sans profondeur. Quand on donne le droit à un arbre d’exister au-delà de l’âge d’exploitatibilité, cela procure consciemment ou inconsciemment une sensation de détente dans un environnement économique et humain très oppressant dans le profit à tout crin.
A une époque où les citadins ne voudront plus être confinés dans de l’urbanisme concentrationnaire et que nous allons assister à l’échec du Grand Paris est-il intelligent de dévaloriser les forêts péri-urbaines quand tout le monde voudra se sentir retrouver des espaces non-humains qui aient préservé leur profondeur réelle ?
Pour toutes ces raisons et d’autres non énumérées, il est temps de ne plus marcher à l’envers en ne sachant pas ce que l’on fait…
En conclusion, nous proposons pour la forêt de Fausses-Reposes :
– une sylviculture douce associant machine et traction animale (voire avec dirigeable22 à bon escient) afin de préserver les sols et la santé des peuplements, tout en contribuant à réduire le débit de pointe des eaux pluviales sur les bassins versants alimentant les étangs de Corot,
– une gestion préservant la biodiversité avec le maintien de la surface de 8 % d’îlots de vieillissement, participant également à la prévention des crues et inondations, à l’atténuation des effets du changement climatique et au maintien de la qualité paysagère,
– une reconnaissance des services écosystémiques rendu par la forêt, notamment en matière de gestion de l’eau, par un paiement pour services environnementaux (PSE) donnant les moyens financiers à l’ONF d’adopter une gestion de prévention des risques naturels, équilibrant naturellement fonctions sociales, écologique et économique,
– nous demandons qu’un pourcentage d’arbres soient maintenus au-delà de l’âge d’exploitabilité pour que toute la pyramide des âges soit représentée parmi les arbres, et que nous évitions qu’il y ait un trou générationnel faisant que demain nos descendants n’auront plus d’arbres remarquables dans cette forêt. Nous demandons que des arbres soient classés et conservés au titre d’ « arbres présidents ».
– la prise en compte de la fonction sociale prioritaire dans cette forêt urbaine du Grand Paris
Catherine Bort, Forêt Citoyenne
Photographies de Bernard Boisson, président de Forêt Citoyenne, membre des JNE.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/For%C3%AAt_de_protection
- « La nécessité d’assurer la pérennité de la forêt par un rajeunissement régulier conduiront à mener une sylviculture adaptée qui se traduira également par une récolte de bois, fruit de la dynamique végétale » Classement en forêt de protection de Fausses-Reposes DDEA 78-juin 2007-36
- https://agriculture.gouv.fr/foret-quest-ce-quune-reserve-biologique
- https://www.onf.fr/onf/+/519::retrouvez-toutes-les-forets-publiques-en-libre-evolution-pres-de-chez-vous.html
- Classement en forêt de protection de Fausses-Reposes DDEA 78-juin 2007-15
- https://www.fcba.fr/actualite/praticsols-guide-sur-la-praticabilite-des-parcelles-forestieres page 38
- Classement en forêt de protection de Fausses-Reposes DDEA 78-juin 2007-7
- « La forêt et l’eau » Olivier James http://www.fao.org/3/XII/0840-B2.htm
- « L’eau de ruissellement de pluie est conduite jusqu’aux étangs de Corot à travers un réseau de rigoles situées en amont, au coeur du massif boisé. Ces rigoles font l’objet d’un plan de restauration mené par le Service National des Travaux du Ministère de la Culture. Des projets existent pour renforcer ces actions en partenariat avec l’association Espaces ainsi que le Service des Fontaines de Versailles, Marly et Saint-Cloud » Classement en forêt de protection de Fausses-Reposes DDEA 78-juin 2007-8
- http://www.horizons-journal.fr/article/charte-inondations-entre-le-grand-paris-et-les-chambres,3392.php
- Indemnisations en zone de sur-inondation, entente Oise-Aisne www.oise.net>app>download>aides
- PRATICSOLS, Guide sur la praticabilité des parcelles forestières https://www.fcba.fr/sites/default/files/files/GUIDE%20PRACTIC%27SOLS_WEB%20vdef.pdf page 24
- https://www.onf.fr/onf/communes-et-collectivites/+/3a::environnement-risques-naturels.html
- PRATICSOLS, Guide sur la praticabilité des parcelles forestières https://www.fcba.fr/sites/default/files/files/GUIDE%20PRACTIC%27SOLS_WEB%20vdef.pdf page 37
- http://www.driee.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/plans-de-prevention-des-risques-inondation-ppri-r375.html
- « Une surface de 500 hectares a été classées en ZNIEFF de type 1-2, compte tenu de ses qualités et et de son isolement au milieu de l’urbanisation. » Classement en forêt de protection de Fausses-Reposes DDEA 78-juin 2007-15
- https://studylibfr.com/doc/804987/la-cr%C3%A9ation-d-un-%C3%AElot-de-vieux-bois-en-for%C3%AAt-de-rambouillet
- https://sosforetfrance.org/wp-content/uploads/2020/02/rapport-webforet-climat-fern-canopee-at.pdf
- « Une forêt qui n’est pas suffisamment exploitée a naturellement tendance à vieillir. Ses capacités à capter le carbone diminuent d’autant. …Il y a donc lieu de stimuler le rajeunissement de la forêt francilienne en procédant à des coupes et à des replantations.» Rapport du Ceser 4.14 p.81/94 www.ceser-iledefrance.fr/travaux/une-politique-ambitieuse-de-region-ile-de-france-faveur-de-filiere-foret-bois
- https://www.ceser-iledefrance.fr/travaux/une-politique-ambitieuse-de-region-ile-de-france-faveur-de-filiere-foret-bois
- https://www.change.org/p/vpecresse-pour-la-sauvegarde-des-for%C3%AAts-domaniales-du-grand-pari
- https://www.onf.fr/onf/lonf-agit/+/3c9::au-bourget-les-dirigeables-debardeurs-de-flying-whales-senvolent-avec-lonf.html