Biodiversité et culture : un thème à l’ordre du jour pour les 70 ans de l’UICN

Dans les propos qui suivent vous avez un compte-rendu partiel d’un évènement embrassant des thématiques très vastes, rédigé à la lumière de ce qui nous a percuté à partir de notre petit mirador de conscience que représente l’association Forêt Citoyenne Parfois nous corroborons ce compte-rendu à ce que notre cheminement nous a donné d’éprouver en dehors de ce cadre institutionnel – Que maints intervenants au micro nous excusent de ne pas les citer, comme leurs collègues. La multiplicité des sujets, et les débats touffus nous oblige à une itinérance dans un échantillonnage arbitraire.

Pour les deux journées du 30-31 août 2018, l’UICN (Union International de la Conservation de la Nature) a célébré ses 70 ans d’existence dans sa ville de naissance : Fontainebleau.

L’évènement a été particulièrement remarqué par notre association Forêt Citoyenne concernant son thème mis à l’honneur :

L’avenir des paysages, nouveaux rapports entre l’humain et la nature

l’UICN pour la biodiversité, tout comme le GIEC pour le climat, constituent dans les domaines spécifiquement écologiques, les deux seules grandes ONG internationales mettant directement en relation les experts scientifiques et les gouvernements. A ce titre, l’UICN, outre que d’être entrevu en tant que pôle d’expertises, se présente aussi comme un laboratoire d’idées pour favoriser un futur salutaire à notre planète.

Voir une institution internationale de la biodiversité appréhender les rapports humains/nature à travers leurs cultures et les paysages, confirme une reconnaissance à prendre en compte cette cohésion pour faire perdurer la conservation de la nature au fil des générations. Effectivement cette prise en compte nous apparait majeure, bien qu’elle ait été moins entendue.

Cet élargissement de la conscience amenant des scientifiques de la biodiversité a prendre de plus en plus en compte la culture paysagère, parait se justifier par la question de Pascal Canfin (directeur du WWF-France) intervenu en fin de colloque : Pourquoi réussirait-on demain, ce que l’on a pas réussi hier ?

A un autre moment, dans un tour de micro adressé à la salle surviennent ces propos : « la planète est prise en otage entre les citadins et les bureaucrates. Dame nature n’a pas moyen de pleurer, de montrer ses larmes…Les hommes sont devenus des transhumants, des citadins-objet… « , ce langage direct très remarqué, imagé, sans extrapolation analytique, de la part d’un intervenant africain, est particulièrement révélateur du décalage entre des peuples autochtones séculairement en osmose avec leurs paysages, alors qu’ils s’entendent des recommandations écologiques très technocratiques venant d’un monde qui s’est autrement plus coupé de la nature qu’eux-mêmes.

Une grande instance comme l’UICN se déclare avisée de cette situation, au point de poser ce colloque…

Par l’intervention de Lazare Eloundrou-Assomo, directeur adjoint du Patrimoine de l’UNESCO, nous est présentée l’inclusion du patrimoine naturel dans le patrimoine historique des cultures et des civilisations. Cette inclusion, survenue après la préservation du patrimoine strictement humain, a instauré en 1992 la notion de « paysages culturels » . Trois organisations consultatives (UICN, ISOS, ICOMOS) sont impliquées pour les estimer, prenant de plus en plus en compte la façon des êtres humains d’interagir avec le paysage.

Eleanor Sterling, américaine, biologiste de formation, en interface entre l’UICN et le muséum d’histoire naturel américain, a travaillé sur la zone pacifique pour identifier des indicateurs bioculturels permettant d’évaluer le degré de connexion ou de déconnection d’une population à sa nature. Elle en a recensé 93. A titre d’exemple, parmi ce qui peut constituer un indicateur bioculturel : la propension des enfants à chanter devant les vaches. Tout au long de ces deux jours de colloque quand il est question de « culture », c’est certainement d’une culture incorporée dans des comportements empathiques et contemplatifs de l’humain avec sa nature de proximité qu’il est question, et bien moins de savoirs de bibliothèque tenus à distance des espaces naturels et des êtres vivants (y compris quand ils nous reviennent sur le terrain en recourant au smartphone !). C’est certainement tout le paradoxe de ce colloque de formuler très intellectuellement une culture dont on ne sent pas directement la vitalité dans ce débat, tellement elle demanderait d’autres formes d’expressions et de témoignages… Justement à Forêt Citoyenne, recourir à ces autres formes d’expressions pour connecter plus immédiatement les perceptions aux décisions, est au centre de nos désirs, et déjà manifestée créativement.

Notons aussi dans le questionnement à chercher ce qui nous tient en cohésion avec la nature l’intervention dans une session-atelier de Sean Southey ( président de la commission Education et Communication de l’UICN). Mettant à contribution la salle, il demande à chacun de se remémorer un moment de sa vie, où il aurait vécu « un coup de foudre » dans sa relation à la nature qui aurait par la suite modifié son comportement. Les réponses qui lui reviennent concernent souvent des témoignages vécus entre 6 et 8 ans. Persuadé que ce type d’expérience est déterminant dans l’instinct vital des êtres humains à préserver la nature, il cherche comment faciliter cet accès de conscience à très grande échelle pour les générations qui nous succèdent.

Dans le foisonnement hétéroclite de propos exprimés lors de cette rencontre, se recompose à l’esprit une convergence mettant en corrélation la dégradation des sols par une économie intensive, et la déconnection concomitante des professionnels et des populations face à toute culture paysagère traditionnelle, comme bien souvent face aux cultures écologiques alternatives. Cet angle de vue est entre autre relevé par Christophe Aubel (directeur de l’Agence Française pour la Biodiversité – une organisation ayant à peine deux ans). Pour lui, la notion de culture paysagère s’entend par : « ne pas être que technique, mais faire avec… ». Bernard Cressens, président du comité français de l’UICN rappelant qu’il était éleveur à ses débuts, relève « qu’en deux générations d’agriculteurs, on n’a plus de sol. Il ne reste que du sable. Ce n’est plus de l’agriculture, mais de l’industrie ». En Aparté, à Forêt Citoyenne, nous constatons que la gestion forestière reprend à son compte, tout particulièrement depuis le début des années 2000, les grandes erreurs préalables de l’agriculture concernant la dégradation des sols, cela d’autant que la sylviculture s’est formatée aux logiques économiques de l’agriculture industrielle. Et si aujourd’hui, le forestier est particulièrement mis en souffrance, c’est bien dans un déni porté à ses fondamentaux culturels accumulés au fil des siècles par son expérience.

« Ce sont les récoltes qui nous ont domestiqué, et pas l’inverse » (Yildiz Aumeeruddy-Thomas) : ici s’entend un autre propos sur un rapport culturel à la nature infusant les peuples, alors qu’une industrialisation de l’agriculture les en détourne gravement.

Toutefois, au fil du débat, on se demande si derrière le terme de biodiversité, une écologie jardinière n’est pas en passe de supplanter une écologie des écosystèmes en libre évolution ? Comment vivre en conjugaison les deux ? Pour nous à Forêt Citoyenne, une culture de la nature et des paysages fait sens dans sa maturation quand elle n’étouffe pas les repères fondamentaux d’une nature entièrement libre, s’appartenant à elle-seule, comme référentiel pour inspirer tous les paysages que nous transformons. En effet, que vivrons-nous entre une biodiversité jardinée et une biodiversité sauvage ? Vivrons nous une scission ou une complémentarité ? Vivrons nous une nouvelle forme d’ignorance du naturel par une biodiversité domestique ou au contraire, celle-ci approfondira-t-elle sa maturation par l’assimilation des dynamiques des écosystèmes tels qu’ils sont quand on ne les domestique pas ? A ce titre, les remarques de Bettina Laville (présidente du comité 21) apparaissent particulièrement judicieuses : « Le mot Biodiversité est scientifique. Ce mot qui est notre outil de pensée (ou à penser) n’est-il pas fait pour oublier le mot nature ? Ce remplacement technocratique reste un problème… » Ce qui est surtout frappant en France, c’est que cette remarque a déjà été relevée par tout un réseau de scientifiques naturalistes, de gestionnaires et de penseurs… (voir par exemple le colloque Naturalité à Chambéry en 2013). Aussi, s’il n’y avait pas dans notre pays autant de cloisonnement entre les réseaux, les évènements, et les personnes, nous serions certainement plus avancés en maturité collective sur les questions essentielles à l’instar de celle-ci…

Il est aussi frappant d’entendre toujours parler de « biodiversité » au singulier, non pas au pluriel. Dès lors cela ne conduit-il pas au silence une réflexion sur l’interrelation entre les écosystèmes ? Comment nos sociétés vont-elles par exemple arbitrer la biodiversité du monde pastoral et la biodiversité forestière ? Nous savons que soulever cette question mettra à nu bien des partis pris hâtifs qui peuvent même se révéler passionnels … Quoiqu’il en soit, tous ces débats sont très intéressants. Peut-être et surtout parce que le sujet reste plus grand que nous tous.

Avoir une culture distincte et conjointe aux sciences naturalistes pour approfondir une intimité de cohésion des peuples avec leurs paysages naturels est sans nulle doute à l’heure actuelle une des grandes urgences prioritaires. Autant pour des raisons humanistes que des raisons écologiques. Toutefois au même titre que dans les réserves de la biosphère, nous avons en zone centrale des réserves intégrales ceinturées par des paysages traditionnellement cultivés et accordés aux écosystèmes natifs du lieu, il nous semble capital d’avoir en zone cœur de notre culture occidentale, une culture du non-culturel comme diapason de tous nos agissements sur Terre. Inutile de dire qu’en France, les circuits de distribution culturelle, eux-mêmes abusivement inféodés à une productivité intensive, n’ont pas favorisé ce cœur de culture ! Ceux qui s’étaient consacrés à cette orientation, ô combien ont-ils eu à le vivre lourdement à leurs dépends, tant les budgets à la culture terrienne et à l’éducation naturaliste ont été asséchés dans les Régions, et les communes tandis que l’argent coule à flot dans le BTP pour des constructions faisant prévaloir des intérêts contrevenant aveuglément, non seulement à la prise en compte des lieux de vie, mais aussi à la régulation futures des flux… Si nombre d’actions culturelles survivent malgré tout, c’est le plus souvent au prix d’une disproportion remarquable dans un dévouement bénévole, et d’un exil par rapport aux grand courants d’intérêts professionnels. Mais dans la majorité des cas, là où l’argent est le carburant de l’action, il n’y a pas l’esprit que l’on souhaiterait.

Impossible dans les fonctionnements actuels de notre économie mondiale de soulever la question de la culture et de la préservation des paysages propices à la nature, sans soulever la façon dont circule l’argent. En premier lieu pour qu’il cesse de contrevenir, plus urgemment encore pour qu’il soutienne les initiatives antidotes.

La secrétaire d’Etat Brune Poirson, en remplacement inopiné de Nicolas Hulot venant tout juste de démissionner de ses fonctions de ministre, aborde le sujet. Elle dit que l’initiative du président de la République d’avoir lancé le One Planet Summit le 12 décembre 2017 est « de faire en sorte que la finance, les investissements privés et l’argent public soient dirigés vers des projets qui préservent la planète… Il faut que la finance soit inscrite dans le long terme, au service de l’environnement, et nous réfléchissons non seulement à des solutions, mais nous sommes déjà en train de mettre en œuvre des mesures concrètes… S’il vous plait, continuez, proposez, engagez vous, montrez nous où sont les innovations pour que nous puissions les identifier pour les faire passer à plus grande échelle, et surtout pour que nous puissions en finir avec un régime financier et un système capitaliste dépourvus de sens. Il nous faut redéfinir nos modes de production/consommation…pour les rediriger vers la préservation de la planète. C’est cela notre objectif fondamental car sinon l’humanité ne survivra pas.

Est souhaité à la faveur de la biodiversité, un évènement international aussi important que la COP 21 tenue à Paris en 2015, pour que la finance change sa conduite par rapport à la planète, à l’instar de ce qui lui est demandé pour le climat. Le futur congrès de l’UICN à Marseille en juin 2020 jouera-t-il cette carte ?

En guise d’exemple de ce que le monde de l’entreprise peut faire en appui de la biodiversité représentée par l’UICN est mentionné son partenariat expérimental avec la société Kering de sorte d’adapter les chaines de production, aux équilibres et à la diversité de la nature en amont.

Pascal Canfin (pour rappel : directeur du WWF) voit dans la bataille de la biodiversité qui se joue actuellement, cinq acteurs clé à prendre en compte :

_ les Etats

_ les collectivités locales

_ Les entreprises

_ les financiers privés

_ les agences locales de développement

On ne peut réussir dans les solutions, si déjà un seul de ces cinq type d’acteur fait défaut dans son implication. En regard de ces cinq acteurs, les citoyens, les scientifiques, et les ONG sont secondairement identifiés comme des groupes de pression par rapport au groupe des cinq détenant les commandes. A dire vrai, quand on se sent faire parti de l’un de ces groupes secondaires, on se sent en position de rabatteurs, comme dans une partie de chasse. Pour le dire avec une aimable diplomatie, ce n’est pas très jouissif pour les tempérament sensibles, éthiques, et créatifs d’être assignés à ce camp ! Cela ne guérit pas du sentiment d’être mis sous tutelle. N’y a-t-il pas un autre scénario à donner à la pièce de théâtre relevant moins de l’analyse écotechnocratique ?

Bernard Boisson