Si à un niveau international, on parle de plus en plus de déforestation, en France le problème prépondérant est « la mal-forestation ». Nous pouvons dire que cette déclaration vient en préambule fort de toute une succession d’interviews de professionnels de la sylviculture et de la filière bois. Depuis le début des années 2000, le grand public a bien la sensation d’un accroissement des coupes rases, d’entassements de grumes, de chemins forestiers défoncés par les machines sylvicoles, tandis que des discours officiels lénifiants, renforcés par un silence anormal de la part des médias, insinuaient d’entrée de jeu un sentiment de culpabilité à tout observateur s’engageant à lancer l’alerte. En réalité « la mal-forestation » a beaucoup bénéficié du silence et de la désinformation. Quand le grand public découvre ce film, il se met enfin au parfum de la pièce de théâtre qui a fait le décors ! Dès lors, une sylviculture à l’âge dinosaurien du progrès lui est bien confirmée, de l’abatteuse aux scieries géantes, en passant par toutes les machines de débardage… Une sylviculture est sortie de l’échelle humaine, et de l’échelle écologique. Comment pourrait-il y avoir encore un amour de la forêt à ce niveau ? Une souffrance aussi profonde que pudique transparait en filigrane allant d’une deshumanisation d’un métier au saccage sans état d’âme des milieux forestiers. Des professionnels constatent eux-mêmes les inepties d’une gestion. Il semble à la fois que plus la puissance de la machine s’interpose entre la nature et l’humain, plus nous avons une distanciation entre la bureaucratie et le terrain, et plus les professionnels paraissent vidés de présence dans leurs rapports aux lieux et au vivant. Une abatteuse coute au bas mot 400 000 euros quand une tronçonneuse en coute environ 1500. Quand on veut rentabiliser du lourd, il n’y a plus le temps de sentir. Il faut faire le maximum d’heures pour amortir le coût de cette machine. Les forestiers du martelage, et les exploitants du bois restés à l’échelle de petites PME, attestent une lucidité plus profonde. S’instaure un combat entre David et Goliath, sans aucun affrontement. Simplement une sylviculture entre les pratiques traditionnelles et alternatives montre sa résistance sous le laminoir boulimique d’une sylviculture industrielle et dantesque, légitimée en ces termes par un intervenant : « c’est la guerre économique… ». A ceci prêt que nous sommes en droit de nous inquiéter vivement : la sélection très normative des grumes par des scieries géantes profilées pour des usages restreints à très grande échelle, induit un gaspillage écœurant de tout ce qui n’est pas à la norme dans les forêts. De surcroît, elle force toute sylviculture alternative à l’échelon artisanal à se recréer une autre filière bois adaptée quand une France forestière a rompu depuis longtemps avec l’économie circulaire..
C’est un film ostentatoire dans les analyses chiffrées, sans nomination des intervenants en sous-titrage, sans esthétique ou dramatisation appuyées. Cette sobriété marquante signe le style de la réalisation et renforce la force véridique des témoignages. Après le livre « la vie secrète des arbres » et le film « l’intelligence des arbres », ce documentaire vient en antithèse crue. Il faut vraiment la connaissance d’un sujet en recevant toutes ses contradictions pour que le public ouvre les yeux à 360°. Aussi ce film sera nécessaire à l’équilibrage de conscience de notre société.
Le film témoigne d’un écartèlement entre les logiques d’une sylviculture modérée respectant les équilibres et la régulation écologique des forêts et d’autres logiques imposées par le haut à la sylviculture actuelle. « Ces logiques viennent de l’industrie du pétrole, du plastique, et de la finance. A un moment donné, il faut s’apercevoir que ces deux logiques ne sont pas mariables« , comme le conclut l’ingénieur-forestier Gaétan Dubus.
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Bernard Boisson